Toutes dernières nouvelles de moi-même ? Oui, mais encore...
Le 15 février 2012.
« Je vous place les bouchons d’oreille ? Oui. Et le casque par-dessus ? Oui… Elle met du vieux pain sur son balcon pour attirer les moineaux, les pigeons… Euh ? Non, s’il vous plaît, sans musique le casque, la chanson à texte n’est pas trop mon truc ! ». L’infirmière me rabat la visière sur les yeux, pilote de dragster, je sens qu’on me pousse sur la glissière, m’enfourne dans la machine, et c’est parti !
Imagerie par Résonance Magnétique, pas d’atome mais des champs magnétiques dont je suis bombardé, qui traversent ma tête ou glissent sur ma peau, me hérissent le poil des bras, des jambes et du scrotum… Et ce boucan d’enfer. D’abord comme une sirène de pompiers, ensuite un billard électrique puissance dix, une accalmie, des crissements aigus, silence à nouveau, un marteau-piqueur qui me pilonne…
J’avais oublié, l’humain a la mémoire courte, sauf quand il est atteint d’un Alzheimer, quoique !
Le 11 avril 2011.
C’est comme si je marchais les jambes écartées. Et puis cet écho dans ma tête quand je parle et quand je pense… C’est assez désagréable. C’est sans doute cette nouvelle chimie dans mes veines. Je suis désormais un être malade. Il faut m’y faire. Je n’ai pas vécu mes deux crises. J’étais sans connaissance. Ji m’a regardé gigoter nuitamment à ses côtés, pris de convulsions choréiques, comme si j’entrais les doigts dans une prise électrique. Epilepsie, mal comitial. Une première scanographie n’a pas éclairé mon cas. Mais je luirai désormais dans le noir telle une noctiluque. J’ai toujours aimé briller en société.
Mon cerveau présente une tache ou un trou qui peut être récent ou de naissance. Je n’en suis pas surpris. J’ai toujours cru que je partirais de la tête. En premier, d’abord de la tête… L’imagerie par résonnance magnétique devrait déterminer si mon cerveau présente une anomalie physique, une tumeur par exemple qui aurait provoqué ces court-jus cérébraux. Je n’ai pas encore déterminé non plus si je suis toujours moi-même ou si j’ai perdu certaines de mes facultés pendant ces crises inaugurales. C’est l’expression ad hoc : épilepsie inaugurale. Parce que ça c’est produit en grandes pompes, ambulance, sirène, gyrophare et tout le toutim !
Mais j’étais quasi inconscient, sonné, et je n’ai pas profité du cortège. C’est comme lors des obsèques, l’intéressé n’est pas vraiment de la fête. Donc j’ignore si je suis toujours le même. Ces crises inaugurales ont peut-être modifié des connexions internes. Et je suis peut-être désormais un type tout à fait conformiste et d’une banalité crasse…
Ai-je jamais été autre chose ?
Le 18 avril 2011.
Les oiseaux du quartier engagent leur babil aux premières lueurs du jour. Dès 5h30 c’est parti, ça gazouille ferme dans les jardins derrière. Et puis arrive le camion de la supérette. Vers 6h les palettes roulent dans la remorque. Le quartier est si calme que le moindre bruit tonne… La chimie nouvelle dans mon sang raccourcit mes nuits. Si je continue de fort bien dormir, je dors par contre moins longtemps. Pas d’autres changements constatés. Mais suis-je lucide ? Ji se veut-elle charitable à mon endroit ? Evite-t-elle de souligner quand mon disque saute ? J’écrivais jusqu’ici volontiers tout et n’importe quoi, c’était conscient ! Désormais ce pourrait être involontaire, malgré moi. Mon maigre public chéri n’y verrait-il pas que du feu : « Il est spécialement drôle cette fois-ci ! On se rend à peine compte qu’il ne sait plus ce qu’il dit ! ». Je pourrais aussi m’abriter derrière un hypothétique handicap pour servir deux ou trois répliques aussi bien senties que désagréables ou malveillantes. Et balancer à chacun son petit paquet… « Le pauvre déraille tout à fait ! ». Non, ce n’est pas là ma nature !
Le 20 avril 2011.
La batterie d’examens, toujours, aujourd’hui IRM ! Entendez Imagerie par Résonnance Magnétique et pas Institut Royal Météorologique. Même si le temps magnifique rend bien agréables la route et le paysage vers la ville voisine où l’urgence de mon cas est rencontrée dans un délai plus court que chez nous. L’expérience apparaît d’abord un peu ringue, genre cinéma fantastique lowcost. J’ai signé une décharge dédouanant le personnel du lieu qui va entrelarder mon cerveau de champs magnétiques.
Pas d’allergies rédhibitoires, pas de chimies contre-indiquées ni de claustrophobie exacerbée ou incontrôlable… Prenez et palpez, ceci est mon corps, ligaturez-moi, cathéterisez-moi… Ah bon, ce n’est pas sexuel !
Je choisis de fermer les yeux, ce qui me paraît judicieux pour éviter la sensation d’enfermement. À travers mes volets palpébraux je vois des jeux de lumière, variations de couleurs et d’intensité… Je suis coiffé, c’est élégant, d’un casque protecteur. La machine infernale autour de ma tête est un moment silencieuse, j’entends alors la radio dans le local, Bob Marley, ‘Is this love ?’, Natacha Atlas, reprise d’un vieux standard non identifié. Quand la bête se déchaîne, j’ai de la peine à faire la part des choses, je suis un instant une bille de flipper et je rebondis d’une borne électrique à l’autre, ding-ding, l’instant d’après me renvoie dans les seventies et les avant-gardes musicales de Klaus Schulze, de Kraftwerk ou de Brian Eno… L’examen est longuet mais l’expérience finit par devenir amusante au fil du temps et je ris tout seul… Parce que je m’amuse, rien à voir avec mes courts-circuits neuronaux d’il y a dix jours. C’est fini, salut tout le monde, la primeur du résultat est réservée au praticien à l’origine de l’examen. Le neurologue m’annoncera dans sept jours tumeur ou pas tumeur, bénigne ou maligne. C’est con pour une fois j’aimerais avoir produit quelque chose de pas malin !
Autrefois l’épilepsie s’appelait ‘haut mal’ ou ‘mal sacré’. La classe ! Mais encore ?
Vais-je m’en tirer sans tic sinoque, sans TOC comique ni cynique tac au tac ? Ai-je encore mes deux rames bien dans l’eau ?
(Où ma généraliste préférée me glisse dimanche 24 avril, en douce et en avant-première, un petit protocole sous les œufs en chocolat planqués entre les aubriétias et la marjolaine du jardin…).
Certains concepts aussi évidents qu’inéluctables, sauf pour les imbéciles, restent néanmoins flous, vagues et abstraits. J’en prends deux au hasard ? Voyons… la vieillesse et la mort, par exemple ? Mais un jour un grumeau, un coagulum, un thrombus ou un caillot, bref une infime et misérable connerie de rien du tout, invisible à l’œil nu peut-être, une saleté rosâtre, rougeâtre ou noirâtre, en tout cas, se met en travers et, pas de veine, la voilà obstruée ! J’écris veine pour rigoler, vaisseau serait de meilleur aloi, quoique bateau, capillaire serait bien aussi, c’est passé à un cheveu. Or donc je dors pépère, mémère aussi, je m’absente soudain une brassée de secondes, j’entends de loin une sirène sans en voir la queue et me réveille seul dans un lit inconnu, junkie d’un nouveau genre, raccordé à diverses potences et autres baby-sitters électroniques, et juste vêtu d’une blouse ridicule qui ouvre sur la rondelle. Et la pièce tombe, voici matérialisées vieillesse et mort. Avant c’était possible, désormais c’est possible. Ça fait une sacrée différence, quand même, je trouve…
Pour les profanes du corps humain et de la médecine deux et deux ne font pas tout de suite et toujours quatre. Diverses évolutions, en apparences négligeables et parfois inconscientes, car aussi progressives que subreptices, ne semblent pas participer d’un même phénomène ou converger vers un même résultat. Certes, depuis notre dernier voyage en Asie (à Ji et moi), mes chevilles et mes cous-de-pieds enflent au-delà de six heures de vol et je dois bouger et pratiquer quelques exercices pour y remédier… Et si j’ai joué les radiateurs ambulants pendant cinquante piges, c’est vrai que mes extrémités perdent chaque jour un peu de leur chaleur naturelle depuis trois ans. Et les pieds ? Et les pieds. Et les mains ? Et les mains. Et le nez ? Et le nez. Les oreilles ? Les oreilles. Et la bite ? Et la bite. Et la tête, alouette ?
Ainsi en serais-je arrivé à mal irriguer mon cerveau, itou ?
Holà, pas si vite ! Associer circulation sanguine et irrigation cérébrale c’est peut-être mettre le sulky devant le trotteur ! Car, quand on y pense bien, les idées aussi peuvent engorger un cerveau…
Des deux outils géniaux dont nous dote la nature, le corps et l’esprit, ou l’inverse, émanent des trucs difficiles à ranger d’emblée et sans hésitation(s) dans le physique ou dans le psychique. Aussi bien la magie alchimique de la vie sait-elle muer l’un en l’autre et même créer de l’insondable en combinant les deux.
Nous allons Ji et moi refermer cette étrange parenthèse, cette expérience pas inintéressante (entre cirque et fête foraine, lol, mdr !) et redonner libre cours à notre existence peinarde, lui laisser à nouveau dérouler ses jours un par un. Existence qui était comme suspendue depuis mes séquences de gesticulations nocturnes, genre rap à plat sur le dos. La femme de ma vie va relâcher un brin son inquiétude et sa vigilance. Je marche droit ? Je parle clair ? Je suis speedé ? Je cauchemarde, là, ou j’épilepse ? Ce n’est pas déjà mon deuxième café ? J’ai pris mon médoc ? Je ne me fatigue pas en collant ce timbre ?
Ji a tout encaissé, l’inquiétude, l’amour, tout ça ! Moi je n’étais pas là…
(Où le neuro y va mercredi 27 de sa conclusion. Alors, tumeur ? Meurs-tu ? Non, je vis ! Je vivais déjà bien mais je peux sans doute mieux faire, d’ailleurs les profs le disaient…).
En bref, car il m’ennuierait d’intéresser davantage parce que je suis malade que pour ce que je suis, une légère faiblesse vasculaire et de ponctuels embouteillages de leucocytes, de plaquettes et autres constituants du sang ont été décelés. D’infimes capillaires sanguins ont explosé sous mon crâne, tchac !, paf !, clac !, et entraîné de minuscules lésions du cortex cérébral, aussi mes séquences ‘transes et possessions’.
Cette petite fête s’est déroulée sous chapiteau dans un coin tranquille du cerveau où rien de majeur ne se décide. Ainsi, mes sentiments pour Ji sont-ils intacts, aussi mon goût pour l’existence. Mes fonctions essentielles, au hasard mon transit intestinal, sont préservées. J’hérite cependant d’une prescription médicale, courte (deux trucs), pas du costaud, mais à vie pour me protéger de la mort jusqu’à la mort (c’est drôle !).
21 février2012.
C’est mardi gras ! Le temps est sec, les Gilles peuvent promener leur parure de plumes dans les rues de Binche. Ils sont contents. Moi aussi. Et Ji aussi.
Nous sommes à la clinique, visite de contrôle.
Neuro : Bonjour, vous passez l’EEG, on se voit après !
La technicienne me fait entrer et asseoir dans un fauteuil confortable, me coiffe d’un casque rigolo (mardi gras !) genre cerceau de caoutchouc muni de ventouses et d’électrodes, et puis de fils qui courent jusqu’à l’ordinateur. Elle s’installe devant l’écran et s’absorbe dans la gelée de mes matières grise et blanche, dans le fatras des neurones, des axones, des dendrites, des synapses…
Moi : Vous voyez ce que je pense ?
Technicienne : Vaguement, oui !
Moi : Vous pouvez me mettre en ligne, me connecter ?
Elle : Je suis tenue au secret professionnel, et puis, à première vue, vous n’avez pas l’air si intéressant !
D’accord, je la ferme. Elle me donne des ordres, regardez à droite, en l’air, levez les bras, fermez les yeux, bougez l’auriculaire gauche, l’oreille droite, multipliez 328 par 17, ouvrez les yeux, elle m’aveugle avec un spot, me fait lever, me dit de danser comme un Gille, de lui lancer une orange, mardi gras, ça dure vingt minutes, c’est fini, la fanfare ne joue plus…je suis déjà dans le couloir, je lui ai rendu son casque.
Le neurologue nous introduit…
Neuro : Comment ça va ?
Moi : Annoncez d’abord, je parlerai ensuite !
Neuro : Ok ! Côté EEG le tracé est bon, l’activité du cerveau est normale. Et voici les images de la dernière résonnance (il tourne son laptop vers nous). Là vous voyez les lésions constatées en avril l’année passée, et regardez, aucune autre tache depuis, situation stabilisée…
Moi : Les lésions ne se résorberont pas ?
Neuro : Non, vous les garderez à vie, et le traitement aussi. Autre chose ?
Moi : Rien à dire depuis notre dernière entrevue jusqu’au début février, un voyage au Mexique en janvier, deux longs vols sans accrocs ni le moindre désagrément.
Neuro : Le Mexique en janvier, j’aimerais bien…
Ji : Qu’est-ce qui s’y oppose ?
Neuro : Euh ? Rien…sans doute sauf que penser vacances c’est penser juillet août, l’habitude, oui je pourrais sans doute choisir janvier si je voulais !
Moi : Depuis quelques jours j’ai à nouveau ce léger flou dans la tête, comme des imprécisions, l’équilibre…
Neuro (à Ji) : Il est nerveux, taciturne, ronchon ?
Ji : Un peu vif, peut-être, et puis il a cette envie de partir en courant, avec moi, quand même, heureusement, mais c’est pas nouveau.
Neuro : L’hiver mine tout le monde !
Moi : Et vous ça va ?
Neuro : Oh ? J’ai acheté un entrepôt pour y aménager un loft. Je me fais un peu arnaquer par les entrepreneurs…
Moi : Dans quel monde vit-on ? Mieux vaut n’avoir besoin de rien !
Ji : Des vacances ?
Neuro : Deux jours ici et là.
Moi : Tenez, c’est une pub pour mon blog, je parlerai de nous dans le prochain texte !
Neuro (saisit le tract) : Ah ! Amusant ! Je lirai. Pour le flou, c’est sans doute le Keppra (anticonvulsif). Selon votre état général, physique ou moral, il peut se rappeler à votre attention parfois. Je vérifie votre tension…11/7…les réflexes (coup de marteau sur le genou, la cheville, le coude, non pas la tête !)…mettez-vous debout, fermez les yeux…ah, vous tanguez !
Ji : Oui, tu tangues !
Moi : Je tangue ou je roule ?
Neuro : Vous tanguez, rouler c’est de gauche à droite…
Ji : …ou l’inverse…toi tu bouges d’avant en arrière et le contraire…
Moi : Donc je tangue !
Neuro : Encore autre chose ?
Moi : Parfois comme une tête d’aiguille qui me pique côté pariétal gauche, avec une sensation de chaleur…
Neuro (il me malaxe la nuque) : Question de position, il y a un nerf là qui court jusqu’au cerveau…
Moi : Sans rapport, ok ! Donc tout va bien, on ne change rien ? On se revoit bientôt ?
Neuro : Juillet ?
Moi : D’accord, c’est toujours un plaisir de prendre de vos nouvelles, n’oubliez pas mon blog !
Neuro : Je fais un nœud dans mon mouchoir ! Á bientôt !