Riviera ? Oui, mais encore...
Je vais vous raconter des salades niçoises.
Un jour après l'autre. Le mot diariste est certes un anglicisme mais n'en désigne pas moins une personne qui tient un journal (diary). Le ou la diariste ne souffre pas obligatoirement d'un transit trop rapide mais peut parfois donner dans la logorrhée.
Premier jour. Ce soir il fait beau. Les abords du tarmac grouillent d'activité. Les wagonnets de bagages tortillent de-ci de-là, les camions de catering et de nettoyage s'accouplent aux carlingues, les petites automobiles orange Follow me ramènent les jets vers les bras d'amarrage et les citernes transfusent le kérosène dans les avions gloutons.
Á bord du petit airbus orange et blanc nous remontons le taxiway vers la piste 02. Par le hublot j'entrevois un instant trois Agusta qui filent en douce et en rase-mottes vers les hangars d'entretien. Avec ce que coûte une heure de vol d'un seul de ces hélicos militaires parfaitement inutiles nous vivons, Ji et moi, quatre mois sans nous priver ! Édifiant, non ?
Deuxième jour. Ce matin il fait beau. Les pêcheurs de Nice ramenaient souvent dans leurs filets un petit requin inoffensif juste armé d’ailerons perpendiculaires semblables aux ailes d’un ange. De là le joli nom de ‘Baie des Anges’. Le chemin des Anglais, comme l’appelaient à l’époque les Niçois, n’était au début du dix-neuvième siècle qu’un étroit sentier de terre et de gravillons. Les riches Anglais qui passaient alors l’hiver sur la Riviera l’empruntaient pour rejoindre la plage depuis leurs villas érigées sur les bords du Paillon, la rivière locale. Le temps, les aménagements successifs et la croissance de la ville firent de ce chemin l’actuelle ‘Promenade des Anglais’. S’y balade désormais une foule cosmopolite. Chinois et Scandinaves, Russes autant que Britanniques ou Français et Italiens. Ce petit monde marche et court. Roule aussi, vélos et patins, mobile boards, chaises roulantes et déambulateurs…
Troisième jour. Ce matin il fait beau. Le quartier de la gare Thiers est crade et interlope juste comme on aime. Derrière sa façade fanée le Trocadero cache des chambres calmes et pimpantes. Telle est du moins la nôtre, perchée au dernier étage, sans vis-à-vis, soleil et lumière garantis et vue panoramique sur des toits de tuiles rouges constellés d'antennes antédiluviennes autant qu'anachroniques. Des mouettes stercoraires surfent sur le vent et lorgnent par la fenêtre ouverte vers mon corps nu allongé sur le lit. Septante kilogrammes de bête humaine dont quarante-cinq litres d'eau. Un kilo de cerveau criblé d'idées parfois bonnes heureusement légères, cinq de peau, rides incluses. Et puis ce petit décamètre d'andouillettes, du grêle à la rondelle, qui l'âge aidant commencent à suinter dans le péritoine. Cela me renvoie à Gainsbourg. « Tu es belle vue de l'extérieur, hélas je connais tout ce qui se passe à l'intérieur. C'est pas beau et même assez dégoûtant, alors ne t'étonne pas si aujourd'hui je te dis va-t’en ».
Quatrième jour. Ce matin il fait beau avec cependant des entrées maritimes. Aux yeux de Ji sur la plage de galets surtout des gars laids. Elle avait avec moi, il est vrai, placé la barre assez haut. Pour mes yeux une diversité d'êtres féminins. La diversité c'est bien même si mes goûts sont ciblés en diable. Je me demande si mon attirance pour les femmes androgynes aux cheveux courts dénoterait une tendance homosexuelle refoulée…
Cinquième jour. Ce matin il fait vraiment beau. Nous traînons des bancs publics à la plage et de la plage aux chaises bleues assez classe qui attendent les culs des traînards et des jouisseurs. Nous nous gavons de mer scintillante et d’horizon illimité, de soleil et de lumière… Plaisirs à consommer sur place. Aussi à transformer en confits. Si la grisaille de chez nous venait à nous miner plus tard, nous pourrions ressortir un bocal, le desceller et revivre un peu de ces ambiances niçoises. Ça marche comme ça ?
Sixième jour. Ce matin il fait très beau, pas de coton sur l'azur. Je suis assis avec Ji aux côtés d'une femme un peu guindée qui se voudrait chicos mais fait surtout grognasse. Une montre de prix genre Rolex garnit son poignet fripé. Et, flûte quelle désillusion !, les aiguilles indiquent la même heure que sur ma tocante en toc... Les Ferrari aussi sont bloquées dans les encombrements. Et les volatiles bombardent de guano les penthouses de bord de mer comme les barres hlm de toutes les banlieues grises. Pourtant ! Pourtant si un idiot riche est un riche, un idiot pauvre est un idiot !
Septième jour. Ce matin il fait beau. Cinq fruits ou légumes par jour, vous connaissez la rengaine bonne conscience à peu de frais. Peler une pomme, une orange ou un kiwi avec un couteau de plastique, ça se mérite ! Le billet d’avion sur une compagnie aérienne lowcost est vraiment une affaire si l’on n’enregistre pas de bagage en soute (surtaxe). Mieux vaut donc voyager léger et, déjà, sans vrai couteau pour entrer en cabine, sécurité oblige. Outre l’exploration du sac, les contrôles varient d’un aéroport à l’autre. Ici on vous retire vos chaussures (même si vous sentez des pieds), là votre ceinture de pantalons. Ailleurs une préposée aux écrans vidéo scrute les moindres bouts de votre anatomie grâce au scanner corporel (délicieux petit frisson !).
Huitième jour. Ce matin il fait beau. Le ciel est immobile. Mais au sol du mouvement. Des mouvements d'humeur. Des humeurs sociales. Je ne crois pas trop, mais qui suis-je ?, à l'efficacité d'une grève ou d'une balade urbaine avec sifflets et calicots. Les potentats de l’économie ne s'en émeuvent guère, savent que chacun rentre tôt ou tard chez son automobile et son téléviseur pour renfiler son uniforme de consommateur.
Arrêter d’acheter me paraîtrait plus judicieux. Mais pourrions-nous faire cela ? Décider de le faire ? Paraphraserais-je de Coubertin ? « L’efficace serait de ne plus participer ! ».
Á dans quinze jours !