Maroc en stock ? Oui, mais encore...
Petit kaléidoscope aléatoire et à travers. (Début)
Á Boumalne du Dadès, vallée du Dadès, à l’entrée des gorges du Dadès, l’hôtel Adrar propose des chambres simples (quoique doubles) sans salle de bain mais avec lavabo. Les douches à partager, au bout du couloir, sont annoncées chaudes mais elles sont froides. Au lavabo de la chambre le robinet unique ne donne pas d’eau. Il faut aller ouvrir celui de la douche chaude froide, au bout du couloir, qui fait appel d’air, et alors seulement le lavabo se remplit. Mais la bonde n’est pas étanche, et le siphon fuit, plic ploc, dans un vieux saut à peinture. Á Boumalne du Dadès, vallée du Dadès, à l’entrée des gorges du Dadès, la caravane ne passe pas, elle ne passe plus depuis longtemps. Pourtant les chiens aboient… Surtout la nuit, des heures durant. Alors, comme la caravane, le temps ne passe plus. Les yeux au plafond, on le saisit plus facilement. Les idées noires de cailloux, de fusils sont vaines et usantes. Mieux vaut rêver éveillé à de jolies choses. Les images du voyage, les mots et les phrases qui disent les caravanes disparues et les chiens qui aboient, qui racontent les douches chaudes et froides et les lavabos sans eau. Á Boumalne du Dadès, vallée du Dadès, à l’entrée des gorges du Dadès, nous avons croisé trois Chinois dans les couloirs de l’Adrar…qui cherchaient les douches chaudes. Qui ont gloussé quand nous les avons, Ji et moi, salué dans leur langue ni hão, zaijiãn…
Au-delà d’Ouarzazate, ville moins exotique que son nom, s’ouvre la vallée du Dadès. C’est une large plaine, désertique et pierreuse, veillée par les sommets enneigés de l’Ighil M’Goun et les roches noires du djebel Sahro. Au fil d’une route comme nous les aimons, longue ligne droite tracée au milieu de rien qui mène là-bas au loin, nous avons traversé des oasis chétives et des bleds comateux réanimés le temps d’un marché hebdomadaire. Plus amont, regagnant les reliefs, nous avons exploré les profondeurs des gorges de l’oued, le Dadès donc, manière de Verdon et de Colorado, falaises abruptes et rouges, jardins verdoyants minces et encaissés, peupliers, figuiers, amandiers…
Abandonnant le Dadès, nous avons remis cap à l’Est vers les dunes géantes de Merzouga, lieu
aussi exotique que son nom, avant-goût de Sahara, rêve de caravanes et de méharées dans l’immensité immobile et silencieuse.
« Allahu akbar… Haya as-sala ! ». Le muezzin exhorte ses ouailles à la prière mais moi j’ai mieux à faire. Erg Chebbi ! Excité, hors d’haleine, ensablé jusqu’aux genoux, je gravis aux aurores l’une de tes dunes gigantesques. Et puis assis au sommet, hauteur cent mètres et même plus, je goûte la beauté, l’immobilité, le silence de cette mer de sable. J’attends et je frissonne, le matin est frais. J’attends, puis d’un coup de l’horizon rosé surgit l’astre roi avec en bandoulière sa palette, ses pinceaux. Á mesure qu’il s’élève, irrésistible, le soleil magicien s’empare du paysage et jette, sur les crêtes et dans les creux, de l’ombre, de la lumière et des couleurs changeantes… Merci !
L’Erg Chebbi est une incongruité. Arrivé, allez savoir d’où et comment, à Merzouga au milieu des déserts de pierres de l’Est marocain, c’est une tache de sable, un ovale de dunes de dix kilomètres sur six.
La route plus sud qui ramène vers l’Ouest évoque une phrase de l’Allemand Leibnitz : « Pourquoi n’y a-t-il pas rien ? ». Vers Tazarine pas l’ombre d’un pisé, d’une chèvre ni d’un dromadaire mais juste de rares acacias isolés, égarés dans les cailloux. Étape d’un soir, nous sommes entrés à Tazarine par la rue, puisqu’il n’y en a qu’une, seule, poussiéreuse, désolée… d’être là. Au Bougafer un sosie de Forest Witaker (Bird, Smoke, Ghost Dog…) parut bizarrement éberlué qu’on choisisse son hôtel et semblait n’avoir pas vu de client depuis des lunes bien que son livre de bord dénonçât une présence irlandaise l’avant-veille.
Essaouira, ville paisible et délicate. Les îles Purpuraires font écran devant l’Atlantique, et les vagues arrivent timides et caressantes sur la plage où se promènent des Marocaines, haïk et hijab. Des hommes à dos de dromadaires aguichent les rares touristes de janvier, proposent des photos ou des promenades sur les camélidés à l’allure à la fois débonnaire et susceptible, majestueuse et grotesque…
Nous sommes arrivés d’Agadir après trois heures de bus sur une route escarpée, et tourmentée par les découpes de la côte et les collines omniprésentes. Cent quatre-vingts kilomètres d’espace désertique, de terres sèches et caillouteuses semées d’arganiers, de thuyas et de cactées diverses. Une petite bourgade colorée se détachait parfois, tapie au bord d’un oued asséché, encerclée de lopins cultivés où des ânes traînaient un araire.
Á Souira une semaine s’écoule sans qu’on n’y fasse rien de remarquable mais dont chaque minute est juste bonne à vivre. On arpente la petite medina avec ses ruelles fourmillantes qui ne connaissent que les piétons et les charettes à bras, ses portes ouvragées qui ouvrent parfois sur un labyrinthe à la magie inattendue, ses épiceries cavernes d’Ali Baba, ses nuées de chats qui vandalisent les poubelles, ses parfums enivrants et ses odeurs de sanitaires fatigués, ses boutiques d’objets ‘artisanaux’, ses marchés non aseptisés et ses échoppes roulantes aux effluves de couscous et de brochettes de foies.
On traîne sur le port, un monde d’hommes, entre les barques de pêche et les bateaux genre boutres que l’on construit ou rafistole, les filets que l’on remmaille, les poissons et fruits de mer que l’on expose, vend, ou grille sur des barbecues de fortune et sous l’œil gourmand des mouettes et autres marins volatiles chapardeurs…
On découvre aussi le travail des artistes marocains dans les galeries d’art, on sirote du thé à la menthe ou à l’absinthe sur les terrasses des cafés, on s’asseoit sur le premier muret venu, parmi les autochtones qui savent ne pas craindre l’immobilité, pour lire quelques pages ou goûter le ballet des passants, Marocains et Marocaines vêtus à l’occidentale, cachés sous la jellaba ou mêlant hijab et jeans moulants suggestifs. Des étrangers aussi, comme nous, touristes ou résidents, cosmopolites, artistes et vieux hippies installés de longue date dans l’ancienne Mogador. (1)
Nous claquons la porte de l’hôtel Central. Les ruelles d’Essaouira sont belles aussi dans la nuit. Outre les chats déjà quelques allées et venues autour de la mosquée pour la prière du matin. Quand nous arrivons au parking qui jouxte la place Moulay, le gardien aux aguets émerge de l’épave dans laquelle il passe ses nuits puis y retourne après avoir grogné un bonjour. Un coup sur les vitres souillées par l’air maritime et nous démarrons dans le sillage confortable d’un camion qui nous ouvre la route, écarte l’obscurité tel Moïse les eaux. Dommage il nous abandonne vite pour obliquer vers Casablanca.
Devant nous vers Marrakech les premières lueurs de l’aube jouent avec des nappes de brouillard bas, translucide, et nous concoctent un éclairage irréel, flou rose et jaune fantastique.
Á Sidi Moktar une poignée de vieux, manteau et capuchon pointu, frissonnent sur les quelques terrasses. C’est un petit matin piquant. On nous regarde beaucoup, les touristes ne sont pas nombreux qui s’arrêtent ici avant sept heures pour prendre un premier café en claquant des dents. Mais déjà il faut repartir, la Logan est attendue en milieu de matinée. D’autres s’en iront avec elle, errer à travers le Maroc…
(1) 2003/2006 (autres § 2006)
Á dans quinze jours !