Le groupe ou l'individu ? Oui, mais encore...
Comme Sandra Kim. Je suis comme Sandra Kim. Pas au physique, non. Au physique je suis beaucoup mieux qu’elle même si j’ai moins de poitrine. Je parle en fait de la chanson qui l’a révélée au monde. ‘J’aime, j’aime la vie’. Une rengaine un peu comme la mienne !
Quand je regarde le passé, quand je nage à contre-courant, je vois partout ce plaisir basique d’être en vie. Béat bêta ? Non. J’ai de bonne heure considéré le fait d’être en vie comme un privilège unique. Unique dans ce qu’il offre, unique parce que nous n’avons pas de seconde chance. Un privilège dont il faut se montrer digne, que seule la bêtise peut empêcher d’honorer. Aimer la vie me paraît aller de soi, l’inverse serait comme signer des deux mains pour quatre-vingts piges de n’importe quoi et d’ennui, bref un enfer !
Jusqu’à l’âge de douze ans j’ai suivi sans véritable conscience la voie parentale, les rails et le ballast posés devant moi. Après sont venues les rencontres, les lectures et les questions. Et les idées. Celles que l’on reconnaît au premier coup d’œil, celles que l’on reconnaît sans même les avoir jamais lues ni entendues. Qui étaient déjà présentes avant, là-dedans quelque part… L’inné. J’y crois beaucoup. L’inné, ces petites nappes qui surnagent sur l’acquis comme l’huile sur l’eau (ces deux-là ne sont pas miscibles). L’inné sans doute plus irrépressible chez l’un ou l’une que chez l’autre, qui ne survit qu’avec peine chez certaines et certains sous les coups de butoir de l’acquis. L’inné qui doit être muselé comme doit être encagée toute personnalité propre quand/si elle existe. Car l’individu doit se fondre dans le groupe, intégrer le troupeau pour faciliter le travail du berger, du maton. L’éducation sert le groupe plus volontiers qu’elle n’émancipe l’individu, bien sûr.
Dommage, vraiment ! Car il n’est d’issues qu’individuelles…
Chacun a la vie qu’il se fait. Il suffit de s’extraire un temps de la mêlée, de prendre un salutaire recul en montant dans la tribune d’où l’on apprécie plus sûrement les phases essentielles du jeu. Évident alors de constater que beaucoup creusent eux-mêmes leur propre fosse à purin avant d’y plonger la tête la première. Pendant que d’autres tentent de se construire une existence plus douce. Il appartient à chacun et chacune de se faire un quotidien qui lui convienne, lui ressemble, le gratifie et l’enrichisse. Qui lui permettra d’alimenter à son tour le groupe dans lequel figurer, s’insérer. Et cela ne marche pas dans l’autre sens, qu’on se le dise ! Le groupe n’a qu’une garde-robe limitée à proposer à une myriade d’individus aux mensurations toutes différentes, même si de loin ils se ressemblent tous. On se retrouve vite engoncés dans des tenues peu séantes, de ringues dégaines étriquées…
« L’individu est l’unité élémentaire dont se composent les groupes ». Je ne vois nulle trace d’une quelconque nuance péjorative dans cette définition du dictionnaire. Pourquoi, dès lors, le mot individu est-il souvent déconsidéré et prononcé du bout des lèvres ? Et pourquoi toujours vouloir l’opposer au mot groupe ?
Fréquenter mes semblables me laisse souvent amer et insatisfait. Le temps de dépasser la fonction phatique et les civilités, d’apprivoiser la méfiance, et voici déjà que sonne l’heure de plier bagages et de rentrer chez son téléviseur. Sans doute à cause de cette fameuse garde-robe sociétale qui nous taille un costard inconfortable dans lequel nous n’aimons pas trop paraître, nous frotter aux autres. Pour s’y sentir à l’aise mieux vaut donc confectionner soi-même ses vêtements. Bien mis dans des fringues sur mesures, il n’est plus rien à craindre du miroir ni du regard d’autrui. Les fréquenter devient du coup plus facile, plus amusant, plus intéressant et plus productif. Productif de plaisir, de bonheur…
La lucidité et l’honnêteté (pas le fort de l’humain, convenons-en !) montrent que les rapports entre les êtres sont souvent des rapports de force. Peut-être parce que le groupe n’associe pas des personnes sur la voie de l’épanouissement, qui avanceraient ensemble dans un semblant d’harmonie, mais plutôt des numéros contraints d’évoluer au coude-à-coude dans un carcan formaté qui ne rejoint en rien les aspirations d’aucun d’entre eux.
Pour confectionner soi-même son costume, mieux vaut savoir coudre… Mais encore ?
Coudre c’est aimer la vie et c’est aimer sa vie. Nous devons nous façonner une existence à notre image, qui nous corresponde, qui nous paraisse bonne à vivre et nous laisse paisibles et souriants quand nous nous arrêtons un instant pour la considérer avec recul, depuis la tribune.
Pouvoir se coucher le soir dans le silence, l’obscurité et la solitude, relire la journée passée et se dire : « Elle était pas mal, je suis content(e) de l’avoir vécue… ».
Á dans quinze jours !