Le 1011 ? Oui, mais encore... Clin d'oeil à Jean Rolin !
Affalé sur son siège il s’envoie d’abord un bout de pain sec, miettes sur les cuisses, puis une tranche de gouda, à pleines mains, le volant doit être gras, enfin noie le tout sous un torrent d’orangeade bon marché en bouteille d’un litre et demi, et un peu collant aussi. Notre ami a taillé une bavette, expression issue du bavoir ou de l’aloyau, nous pencherions pour la boucherie, avec un collègue descendu à Manhay, discussion ennuyeuse au sujet d’une excursion, qui ne l’était pas moins, chère en plus (quinze euros la journée, pensez donc !), organisée par le syndicat. Il a ensuite disserté un bon quart d’heure dans son portable (les automobilistes sont juste capables, et encore, de maîtriser leur véhicule dans des conditions banales de circulation, infoutus de faire un créneau et une marche arrière corrects mais se mêlent en plus de téléphoner) à propos de ses congés et de ceux de son correspondant. Allez ! Bonnes vacances !
Le conducteur du 1011 Liège-Athus, cinq services quotidiens, certains limités à Arlon, pas de débarquement avant Manhay, est bavard (c’est peu dire) et rondouillard (le gouda) mais manœuvre son bus, en fait un confortable car de tourisme sous la livrée du Tec, de façon paisible et coulée. Sa pose avachie, cependant, et ses occupations diverses et nombreuses, boire, klaxonner les blondes, manger, bavasser ici et là, syntoniser une station sur l’autoradio, téléphoner, étirer un bras, à l’occasion conduire, étirer une jambe, enlever son gilet bordeau, se curer le nez, la dent creuse, nettoyer ses lunettes, réenfiler son gilet bordeau, laissent un doute quant à sa faculté de réagir de manière prompte et appropriée si d’aventure un chevreuil, un raton-laveur ou un opossum décidait soudainement de traverser la chaussée devant le 1011 plutôt que d’emprunter une des passerelles érigées à l’intention des gibiers et autres bestioles. Les chevreuils ne savent pas lire les panneaux, les raccoons et les opossums encore moins…
Outre ses couques, et son Mardasson dont nous parlerons plus loin, Bastogne compte aussi deux gares, l’une sud et l’autre nord. Mais aucun train n’arrive plus à Bastogne depuis longtemps. Deux voitures de chemin de fer, pourtant, ont déboulé sans rails jusqu’en centre ville où, reconverties en restaurants, elles constituent un des symboles de Bastogne tout autant que le Sherman garé au carrefour, à droite en entrant. Ce petit char d’assaut américain étant le seul blindé sorti quasiment indemne de l’hécatombe que fut la bataille des Ardennes, nous y reviendrons plus loin, aussi.
Nous avons choisi d’arpenter ce jour le tronçon du ravel, ravel pour réseau autonome de voies lentes, le ‘e’ évitant le barbare acronyme ‘ravl’, qui relie Bastogne à Houffalize. Arpenter, pedibus cum gambis dirait Belle-Maman dans son latin très personnel, car les Brompton sont aujourd’hui au repos. Nous pratiquons l’alternance, comme il se devrait toujours en politique, entre balades cyclistes et pédestres. Ainsi avons-nous marché ces derniers jours une quinzaine de kilomètres sur la ligne 38, ancienne voie de chemin de fer vicinal entre Liège et l’Allemagne réaménagée en promenade pour les piétons, les cyclistes, les cavaliers et autres échassiers ou échasseurs. Aussi en Basse-Meuse de Kanne à Visé par les halages du canal Albert et de la Meuse. Kanne est réputée pour ses tartes roboratives et goûteuses, pour son festival pastiche de cinéma, Visé l’est quant à elle pour ses oies (rôties avec ail et gingembre), son île Robinson et son Pam Pam, glacier de longue date populaire malgré ses boules trop sucrées à notre goût. Nous nous sommes donc envoyé à Kanne une tartelette de derrière les fagots avant de gagner la grande écluse sur la frontière batave (péniches de 3000 tonnes soit 70 poids lourds) et d’écluser les kilomètres jusqu’à Visé où nous sommes arrivés plus nombreux car tout le monde sait qu’un homme à Visé en vaut deux !
Côté vélo nous avions récemment pris le train jusque Namur où nous dépliâmes nos Brompton vert anglais, opération qui ne manque jamais d’attirer les foules, les regards amusés ou admirateurs, la convoitise et les questions, pour nous élancer, train de sénateur, vers Dinant. La Haute-Meuse offre de Namur à Dinant une trentaine de kilomètres sur des rives paisibles, un revêtement de macadam (du nom de l’Écossais qui l’inventa), ou de béton, avec aussi parfois deux cents mètres de méchants pavés très inconfortables sur nos Brompton à pneus haute pression (sept kilos). Et des étapes points forts qu’on n’oublie pas ( ?), Wépion, capitale mondiale de la fraise belge, le website de la localité nous apprend que fraise se dit fraoula en arabe, ichigo en japonais et même klubnika en russe, Wépion qui propose aussi ses restaurants cambodgien, le Phnom Penh (!) et chinois, le Tang’s. Yvoir, il n’y a rien à y voir, pas d’éléphants, mais quand même en cherchant bien le château de Poilvache, Yvoir est connue pour ses sports nautiques, saut à ski notamment. Lustin qu’une étymologie germanique définit comme lieu de plaisir mais où rien ne nous émoustillât.
Dinant est un haut lieu du tourisme belge. Nous serions bien en peine d’écrire pourquoi. Certes la ville propose sa citadelle et ses télécabines, et des couques redoutables pour les mâchoires et les quenottes. Mais elle est étriquée, coincée entre falaise et colline. Outre des automobiles nous avons aussi vu et respiré d’autres automobiles.
Les habitants de Dinant sont les Dinantais, aussi dits les ‘Coopères’ et encore, pour certains, aujourd’hui une poignée, des dinandiers. Pour expliquer coopères nous chercherons encore du côté germanique, koper, Kupfer et copper signifiant tous ‘cuivre’. Si dès 4000 avant notre ère on voyait déjà en Egypte des objets usuels en cuivre et laiton, c’est vers la fin du 11è siècle que la dinanderie (de Dinant) est apparue en Haute-Meuse. De Dinant on connaît aussi Antoine Sax, dit Adolphe, un facteur d’instruments à vent qui porta loin la réputation de la ville, tu feras du chemin, tu seras facteur, en allant souffler dans le nez de Berlioz et de Napoléon III. Nous noterons encore pour clore ici la digression, et arriver enfin à parler de Bastogne, que si le hasard et les coïncidences, dit-on, n’existent pas, nous avons la même semaine beaucoup apprécié le film ‘Cairo time’, romantique et esthétisant, qui nous replongea nonante minutes au Caire, nous y étions en octobre 2007, dans des décors évocateurs dont le souk Al Khalili riche en dinanderies des plus clinquantes.
Pendant ce temps le 1011 s’en était allé vers Athus nous laissant à Bastogne gare du sud. Un petit panneau indiquait le ravel, c’est par là, qui était surmonté d’une affichette montrant un loup-garou, c’est par là aussi. Prudence donc !
Google, le méchant Google hégémonique, nous apprendra plus tard qu’il était question de la découverte du voisin parc naturel de la Haute Sûre au fil des vieilles légendes racontées jadis dans la région, dont celle du Loup-garou de Neffe, nous en épargnerons ici le récit au lecteur.
Car de lycanthrope il ne fut bien sûr pas question sur notre chemin. Des groupes de jeunes à vélo, scouts toujours, d’autres cyclistes, moins jeunes, au long cours ceux-ci, armés de tentes, sacs-à-dos, fontes sur les deux roues, guten Tag, hello, jambo, konnichiwa…des scarabées, bousiers ou géotropes qui traversaient en courant de toutes leurs petites pattes (certains à reculons, roulant leur comptant de crottes) et des bataillons de limaces qui glissaient en bavant…ni dronte, ni kiwi mais de plus autochtones et ordinaires passereaux, corvidés et autres chapardeurs d’immondices telles les pies grièches…un veau égaré et des mouches, des nuées de mouches que nous chassâmes en remuant les oreilles comme les vaches, mais pas autre chose.
A Noville, endroit désertique, fendu par la nationale, sans grand attrait, nous avons fait une pause déjeuner entre une église et un enclos, non à vaches mais à souvenirs. Un monument tristounet, un peu cheap, trônait là ceint d’une haie. Rappel du lourd tribut payé par le village à la deuxième guerre mondiale. Les églises n’ayant pas notre sympathie, nous n’avons rien contre Dieu, qu’il existe ou pas, mais les religions monothéistes nous hérissent un peu le poil, nous avons donc pour accompagner la manducation parcouru non le lieu de culte mais plutôt les panneaux touristiques autant qu’instructifs et commémoratifs renseignant sur le dit monument. Le 18 décembre 1944, avons-nous lu, un certain général Mc Auliffe (américain ?) envoya la 10è blindée et la 101è airborne (?) à Noville pour retarder l’avance de la 26è Volksgrenadier et de la 2è Panzer (des Allemands, avons-nous supposé). Au numéro 15 (la rue n’est pas précisée mais sans doute n’y en avait-il qu’une à l’époque) le Lieutenant-Colonel Laprade (?) est tué avec de nombreux soldats. Le Major Desobry est quant à lui capturé avec l’antenne chirurgicale de la 101è (airborne si nous suivions bien) par la 116è Panzer Division (!). L’occupation de Noville dura un mois et de nombreux civils locaux furent fusillés par la gestapo, Geheim Staatspolizei, notamment dans le jardin du Café Louis (!?). C’est ici l’épisode où le Sherman dont question plus haut en réchappa de justesse, et un des nombreux massacres de la bataille des Ardennes. Bataille marquée d’une pierre blanche, ici grise en fait, par le Mardasson.
Mardasson, mot intrigant s’il en est, étrange, nous dirions presque comique s’il ne commémorait des événements tragiques qui imposent retenue et respect. C’est un mot que nous entendions depuis notre plus tendre enfance, mais c’est à cinquante-cinq ans que nous avons enfin découvert ce qu’il cachait. Une construction en étoile à cinq branches de trente mètres de long chacune, couverte des noms des disparus, coiffée d’un promenoir qui permet d’embrasser le paysage alentour et les positions défensives tenues de conserve par Américains et Ardennais face à l’ennemi.
Nous sommes contents de pouvoir enfin rayer le mot Mardasson de notre liste des choses à faire et voir avant de mourir. Mais comme nous aimons tout comprendre nous n’avons pas manqué de contacter des personnes autorisées (?) pour connaître l’origine du mot Mardasson. Le monument, nous a-t-on longuement expliqué, est construit sur un lieu-dit (dit mardasson donc), autrefois entouré de marécages et de joncs, que l’on désignait alors en patois local par « mar’d’à’jon » ou même « merd’à’jon ». Le temps et les usages ont donné le mot actuel que nous n’allons pas encore répéter.
Pour en terminer, une fois pour toute nous en sommes sûrs, avec Noville nous regretterons que ce mystérieux Café Louis n’ait été ni conservé ni remplacé car il n’y avait en vue dans cet endroit merveilleux ni siège ni banc public à la disposition des promeneurs affamés.
Nous avons repris le ravel parmi les corvidés, les cyclistes et les mouches pour rejoindre Houffalize où il ne nous restait guère qu’une vingtaine de minutes pour siffler un café à la terrasse de l’Alta Faliza (même les aveugles verront le parallèle avec Houffalize), restaurant chinois comme son nom ne l’indique pas. Siffler un café en parcourant vite fait un panneau énumérant les activités organisées les semaines à venir par les édiles de la commune (…) avant de courir ventre à terre vers l’arrêt de bus, car le 1011, flanqué de son pilote au gilet bordeau, déjà de retour d’Athus, se profilait au bas de la rue…
Á dans quinze jours !