E comme essai ? Oui, mais encore...

« Toute cette fricassée que je barbouille ici n’est que le registre des essais de ma vie ».

Ainsi débutent les ‘Essais’ de Michel Eyquem dit Montaigne. Je les avais emportés avec moi lors d’un saut en Sicile pour picorer quelque phrase insolite, amusante ou instructive. Un dilettante de l’existence, l’auteur de votre blog favori, pouvait-il mourir sans savourer des assertions genre : « Il est tant de mauvais pas en ce monde que, pour être sûr, mieux vaut le fouler d’un pied léger et superficiel, et le glisser non l’enfoncer ».

 

 

 

Je vous relis ce que j’écrivais fin mars 2011. (Citations de Montaigne en italique)

Des suites d’un excès d’humeur de la nature nous avons été, Ji et moi, privés de Japon. Un soubresaut abyssal ou hadal puis une vaguelette et voici l’humain face à ses gesticulations petites et ridicules autant qu’inconsidérées. Tant que tout va bien, tout va bien mais à jouer Merlin le Désenchanteur avec l’atome… Quand on s’amuse avec les allumettes, mieux vaut avoir des amulettes ! Donc c’est la dernière semaine de mars, youpie le printemps, le ciel est bleu et le soleil brille, mais les oiseaux se barrent, pourquoi ? Les journalistes, hypocrites ou crétins, avec eux on ne sait jamais (on ne sait jamais rien d’ailleurs !), clament pourtant que le nuage japonais (jaune ?) en approche ne sera ‘que très faiblement radioactif’ ! Gigi ? C’est toi là-bas dans le noir ? Humaines noctiluques, nous scintillerons bientôt dans l’obscurité…

Privés de Japon donc, nous avons résolu, Ji et moi, d’être heureux bien sûr comme écrivait André Gide, mais surtout de panser et compenser notre frustration avec un minitrip sicilien. Notre oiseau d’acier irlandais devait se poser à Trapani. Mais en cette dernière semaine de mars, c’est le printemps youpie et c’est la guerre youpie ! Guerre civile là-bas, subite autant qu’étrange pandémie arabe de démocratite aiguë. Guerre si vile ici où la Belgique, traditionnelle pourvoyeuse d’armes de Khadafi, dégaine soudain ses trois (3 ?) F-16 pour lui casser la gueule. Émétique réalpolitik !

29 mars. Real ou pas la politique comme la guerre s’occupent de vous même si vous n’en avez cure. Et les militaires, occupant Trapani pour l’hallali, sus à Khadafi !, nous ont déroutés sur Palerme. Sans doute belle et majestueuse par le passé la capitale semble crouler aujourd’hui sous la pauvreté, la décrépitude. Cette cité aux allures parfois phocéennes ou cairotes continue cependant de charmer. D’autres avant nous ont débarqué ici qui arrivaient par la mer et non par les airs. En vrac, Romains et Grecs, Vandales et Phéniciens, Arabes et Normands, Espagnols… jusque Garibaldi, révolutionnaire italien, qui rattacha la Sicile au continent milieu 19ème et acheva ainsi de dessiner sur la carte un grand pied à la botte. Cathédrale, palais et jardins, fragments de muraille et de porte, colonnes et bouts d’allées romaines, semés à la volée, témoignent de cette histoire tourmentée.

« Le commerce des hommes et la visite des pays étrangers sont merveilleusement propres à l’éducation. Voyager me semble un exercice profitable. L’âme s’y exerce à remarquer des choses nouvelles et inconnues ».

 

 

 

Comme Montaigne et comme toujours nous avons nourri notre vie de celle des autres. Et nous avons marché tout le jour de la gare centrale aux théâtres Massimo et Politeama (cher à Paolo Conte) et du port des ferries (Sardaigne et Tunisie) à la cathédrale arabo-normande, cocktail architectural qui impressionne aussi les mécréants infidèles que nous sommes, Ji et moi. Nous avons observé ici des êtres résignés à vivre dans un garage ou sous un porche, d’autres qui paressent là avec volupté sur un de ces nombreux balcons où le linge flotte au vent ou ceux-ci qui, arrivés du sous-continent ou de ses séquelles politico-géographiques, apportent à Palerme une nouvelle diversité. Dans les marchés des quartiers exsangues mais attachants du Ballaro, du Capo et de la Vucciara, d’antiques Fiat 500 pétaradantes, des Vespas fumant bleu et des triporteurs Piaggio chargés de cageots de légumes déboulent comme échappés de comédies de Risi ou Rizzi. Au fil de cette balade palermitaine nous avons sifflé quelques cafés, ‘espresso ristretto, latte, lungo, macchiato ou americano’ et mangé des ‘pomodori secchi’ et des ‘panini con porchetta e formaggio’. Ces langues italienne et sicilienne chantent à l’oreille. « Je voudrais premièrement bien savoir ma langue, puis celle de mes voisins avec lesquels j’ai le plus ordinaire commerce ». (Pensée de l’humaniste à méditer aussi par mes amis wallons).

30 mars. Le train tchou-tchou vers Cefalú…Tchèfalou est la prononciation ad hoc, avec l’accent tonique sur le ou… Le train tchou-tchou vers Tchèfaloú, écrivais-je donc, laisse derrière lui Palerme, tortille vers l’Est et se glisse dans l’étroite bande côtière enchâssée entre mer Tyrrhénienne et montagnes des Madonie. Oranges, mandarines, choux, artichauts et cactus raquettes. Cinq arrêts et au bout d’une bonne heure on y est. Lorsque les Grecs approchèrent la côte ils virent d’abord la ‘Rocca’, une roche de deux cent septante mètres de haut et large de cinq cents à sa base. Le sommet leur parut ressembler à une tête humaine, et ils appelèrent l’endroit Kephaloedion (tête), dérivé plus tard en Cefalú. Sur cette roche les Romains bâtirent plus tard des temples, les Arabes des fortifications. Après, les Normands feront redescendre tout le monde au village et marqueront l’endroit, tel un chien pisse, en érigeant une cathédrale, une manie décidément. L’histoire et la force, la guerre et la gloire, toutes quatre émaillées de massacres, les hommes savent pourquoi. « La guerre cette science de nous entretuer et de déperdre notre espèce. C’est un devoir de se cacher pour faire un homme mais une gloire de le détruire ».

 

 

 

Les pieds dans la mer le vieux Cefalú est sillonné par trois artères principales, hôtels et Bed and Breakfast, boutiques, cafés, restaurants, maisons particulières logés dans d’élégants immeubles de trois étages. D’étroites venelles les relient qui cachent des trésors de charme et d’architectures. Le petit port de pêche est tranquille, la plage étroite s’étire en croissant sur deux kilomètres devant la nouvelle ville. Au-delà de la Rocca le port accueille les plaisanciers (et sans doute des plaisantains), aussi en saison un ferry ou un aliscafo qui conduit aux Éoliennes. Alicudi et Filicudi, des îles aux noms qui chantent, Vulcano et Stromboli, noms qui éructent. Entre Carnaval et Pâques en cette année 2011 le climat permet déjà tout. Plage et baignade (mer calme et marée insignifiante), la balade et le piquenique sur la Rocca (temple de Diane, chardons bleutés, asparagus et chemin casse-gueule) et la crème glacée (pistache-chocolat fondant) ou l’assiette de pâtes fraîches en terrasse. Du lundi au samedi le touriste est clairsemé (ouf) qui débarque cependant en troupeau (aïe) l’après-midi du dimanche. Les foules nous agacent, Ji et moi, et les majorités nous font tousser. « Nous avons beau dire, la coutume et l’usage de la vie commune nous emportent. Nous les accomplissons par imitation non par choix. Je m’instruis davantage quand je dois faire le contraire que quand je dois imiter ». Brave Montaigne ! De bonne compagnie, décidément…

Vendredi 1er avril (double ration de poisson). Six heures, j’enfile un boxer et tire sans trop de bruit le verrou de Susan, notre chambre. Les détecteurs de mouvement éclairent le couloir sur mon passage. Je vais faire pipi aux sanitaires communs. Par la fenêtre je vois que ce n’est plus la nuit mais pas encore le jour. Dans la salle de bains deux douches et deux lavabos, Ji et moi on s’y pomponne chaque soir et matin de conserve, mais une seule toilette (à Pékin dans la vieille ville je me rappelle m’être soulagé dans des toilettes publiques dépourvues de cloisons. Dépourvues de tout d’ailleurs, il n’y avait qu’une rangée de trous au-dessus desquels on baissait culotte et s’accroupissait côte à côte, on poussait en chœur, devisant de choses et d’autres en tapant du coude). « Tout le monde fiente, et les rois et les philosophes, et les dames aussi ». (Je vois trop de mes semblables avaler comme un nectar les paroles des abonnés aux médias, politiques, journalistes, avocats, artistes et autres encore, toutes corporations qui comptent pourtant au moins autant d’imbéciles et de malfaisants sinon plus que le peuple des anonymes). Je tire la chaîne et rabats la lunette, qui veut caguer longtemps et confortablement ménage la lunette. Je vais au buffet me servir un jus de sanguines puis sors sur la terrasse, terrasse vue mer au troisième étage, atout majeur du bed and breakfast Casanova. Un souffle d’air froid fait les petites boules sur la peau de mes bras, de mon torse et de mes jambes. La mer est d’huile et sans tache sauf une barque tracée par des mouettes. Deux ou trois zébrures au-dessus d’Alicudi d’abord, un trait rose bien marqué sur l’horizon ensuite annoncent le soleil. Qui émerge irrésistiblement à six heures quarante là-bas entre Messina et les Éoliennes. Et c’est beau ! Les boules sur ma peau se font frisson. Les larmes pourraient venir. Emotions mélangées, esthétique d’abord et puis le plaisir de ce nouveau jour qui monte. Le premier, en fait, c’est toujours le premier, le seul qui compte. « Nous ne sommes jamais chez nous mais toujours au-delà. La crainte, le désir, l’espérance nous élancent vers l’avenir et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est pour nous amuser avec ce qui sera ». Ici, maintenant et c’est tout ! Avec un café fumant, ou tout ce qui s’en approche, turc, jus de chaussettes, galão, nescafé ou nespresso (Heaven can wait, George, but not for the capsules !). Ma drogue, la seule… Avec les flocons d’avoine, bien sur. Et Ji drogue douce pour vivre, paisible, l’instant les yeux bien ouverts. Ji qui me rejoint pour le petit-déjeuner. Le soleil est haut maintenant, chaud et aveuglant. La terrasse du Casanova est à nous seuls, pas de personnel ici avant dix heures et juste une chambre occupée à part la nôtre, des jeunes qui dorment encore ou alors se besognent en silence…

 

  

 

Deux mots encore de Montaigne ? Pour la route ? « Je passe le temps seulement quand il est mauvais et désagréable. Quand il est bon je ne veux pas le passer, je le savoure, je m’y accroche ». « L’humeur la plus contraire à la tranquillité c’est l’ambition. La gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger au même gîte ».

 

Vingt mois plus tard où il est question d’une autre grande île méditerranéenne.

« Ferme les yeux, donne-moi ta main (et prends la mienne, mais oui mais oui, l’école est finie…), qu’elle m’a dit, pour ton anniversaire je t’emmène en bateau ». Facile, quand elle me mène en bateau, je ferme toujours les yeux !

Quatrième île en taille dans la Méditerranée derrière Chypre, Sardaigne et Sicile, la Corse est une montagne dans la mer. Mille kilomètres de côtes et six sommets de plus de deux mille mètres. Et puis, en vrac et en raccourcis grossiers, du maquis et des châtaigniers, Napoléon et Laetitia Casta, Tino Rossi et Pascal Paoli, cochons sauvages et langoustes, GR20 et mare e monti, paysages austères et tourisme à gogo…

 

                                                                                      

 

Cette fois dans mon sac à dos pas d’essais humanistes pour combiner errance et lecture mais bien des articles du ‘Monde diplomatique’, les aficionados disent ‘Diplo’, dont je compte bien essayer, e comme essai, d’extraire de bonnes phrases à malaxer avec vous.

 

 

 

Lundi 5 novembre. Hôtel de la mer, chambre avec vue. De jour et de nuit je vois la place Masséna, piétonnier coloré avec un tram ding ding, les arbres et les plantes, les fleurs et les oiseaux de la promenade du Paillon et des jardins Albert 1er. Et puis, campé en pied au milieu d’un jet d’eau, Apollon fier et nu. Ce pourrait être moi ? « Ta fesse n’est pas assez rebondie, Ji dodeline de la tête, et pourquoi cet Apollon est-il coiffé de petits chevaux ? ». Sais pas. On a demandé à la femme du tourisme. Savait pas non plus. Et vous, le savez vous ? À la une du Diplo : ‘On n’a plus le temps !’. Je pense à mes parents. Qui n’avaient pas d’automobile. Qui travaillaient tous les deux. Qui allaient matin et soir en trolleybus pour lui et à vélo pour elle. Et je me demande en quoi ils avaient davantage de temps. Moins occupés sans doute aux choses télévisuelles et aux miracles worldwidewebiens… Sans doute. Mais ils m’épaulaient dans mes devoirs d’école. Ils me préparaient un vrai repas tous les soirs, m’apprenaient le vélo et la considération pour l’autre. O tempora ! O mores ! Que je traduirai par époque reléguée, valeurs ringardes !

 

                                                                                      

 

Mardi 6.  On the boat (onne ze baut), presque comme Kerouac. Pour rallier Bastia, voir sur une carte la forme de la Corse, le ferry Méga Express Four, les autres aussi, fend la mer tyrrhénienne et contourne l’index, pas le majeur mais venant des Corses ça pourrait, pointé par l’île vers le continent. Cinq heures trente de navigation, fort vent debout mais juste un léger roulis. Sans doute intimidés par son nom, d’aucuns croient le ‘Monde diplomatique’ austère, ardu, ennuyeux. Laissez croire les bigotes et les culs-bénits, amis lectrices et lecteurs. Le Diplo est à la portée de qui sait lire. Et de qui veut le lire, bien sûr. C’est un mensuel qui tient une place à part dans la presse écrite francophone. Pour trois raisons. D’abord la majorité des articles n’y sont pas rédigés par des journalistes. Ouf ? Allez, ouf ! Ensuite la fréquence mensuelle libère des courtes vues de l’immédiateté. Enfin, troisième raison induite par les deux autres, le Diplo évite, le plus souvent du moins, les ornières et les œillères des modes et de la pensée unique. Ce n’est bien sûr que mon avis. Et un avis, comme disait Harry Callahan, c’est comme un trou du cul, tout le monde en a un.

Mercredi 7. Hôtel Univers. Bastia vient du mot ‘bastide’ qui désigne un ouvrage de fortification. Toujours se battre. Les hommes savent pourquoi ? S’en prend-on aux autres parce qu’on est inconfortable avec soi-même ? La violence naît du dépit de savoir si mal vivre (Nicolas Bouvier, ‘Le vide et le plein’). Goliath Casket, le cercueil de Goliath, est le nom d’un marchand étasunien de cercueils, cité dans le Diplo de septembre, qui vend des boîtes à contenance double ou triple de la moyenne. En Chine et en Inde il est désormais de bon ton d’afficher un certain embonpoint en signe de réussite sociale. L’obésité et le surpoids pèsent de plus en plus lourd (!) sur la planète et sur la nécessité de repenser les équipements et les produits mis sur le marché. Qu’en serait-il désormais des transports publics si le surpoids devenait la norme et s’il fallait revoir la largeur des sièges et repenser la configuration des cabines ? Et les toilettes ? Avec mes septante (70) kilos et mon petit cul comment m’asseoir sur un pot désormais conçu pour recevoir le derrière d’un type qui en pèse cent trente ? Sans risquer de tomber dedans… Je ne vais quand même pas faire caca debout ! Ou me balader partout avec un adaptateur de lunette ! La vieille ville est jolie avec ses hauts immeubles étroits, ses façades colorées pimpantes ou décrépites, ses escaliers et ses ruelles en pente, ses volets clos et ses cordes à linge. Bastia corse, aussi un peu provençale, sicilienne ou napolitaine. Un rien de je ne sais quoi lui manque pour attacher vraiment.

 

 

 

Jeudi 8. Champagne !!! Voici 55 ans, un vendredi vers onze heures, je poussais la tête entre les cuisses de Maman (idée aujourd’hui, je dois dire, un rien déstabilisante), aussi dans la vie et, surtout, dans la mienne. Me voici désormais plus proche des soixante piges que des cinquante. Oui ! Je sais, j’ai l’air bien, frais, sportif, sensé, drôle et vif, plutôt beau… mais ça commence à gripper ici et là. Mes articulations grincent, celles des jambes plus que celles des mots, et je vous ai parlé, déjà, je crois (voir ‘Dernières nouvelles…’, dans ce même blog), de mes lésions corticales. Mais il y a aussi mes cristaux ! Vous savez que nous avons tous dans l’oreille interne des cristaux genre minuscules têtes d’épingle ou gros grains (grogrin !) de sable qui régulent notre équilibre ? Non ? Si ! Et bien les miens déconnent parfois. Par exemple je suis au lit, tranquille, ne demandant rien à personne, et puis un certain mouvement de la tête et c’est parti, dites donc, voilà le plafond qui valse, du Strauss (Johann le second), le beau Danube, me reste plus qu’à patienter dix secondes que ça se tasse… En plus, ma génération est la première depuis longtemps (si pas toujours) à voir son espérance de vie diminuer par rapport à la précédente. Trop de merdes respirées et ingérées depuis les années septante (du siècle passé). Enfin je parle de l’âge moyen. Certains vivront moins vieux, d’autre mourront plus jeunes, ou l’inverse. Moi je le sens bien, cela dit, je vais durer, j’en ai envie ! Et ça c’est une démarche, comme le bonheur…

 

 

 

Allez, c’est mon anniversaire, congé du Diplo (comment ça ouf ?), allons nous récréer dans les paysages corses. Depuis Bastia le train vers Calvi tortille tchitchi, lambine dans le sillon tracé par sa voie unique, écartement étroit, ça balance bien, dans les contreforts montagneux (Gilbert), les vallées étirées et sur les rares plateaux. Deux heures délicieuses de roulis champêtre parmi les roches et les maquis, au bord des rivières et par-dessus les torrents, avec ici et là une vigne, un verger, une oliveraie et parfois un troupeau de moutons qui s’égaient à notre passage, jusqu’à l’Île Rousse, petit port cher à Pascal Paoli. De l’Île Rousse, ainsi nommée à cause des granits roses qui l’entourent, reste une heure de cache-cache avec la mer au hasard des derniers reliefs jusque Calvi.

 

 

 

Vendredi 9. Hôtel Belvedere. C’est vrai, la vue par la fenêtre est large et belle sur la baie et la plage, manière d’anse antillaise cintrée par d’extravagants pins maritimes et abritée par de hautes collines coiffées à l’iroquoise ou à la punk, petit nuage blanc sur les crêtes. L’hôtel est bien aussi. La chambre est calme, grande et confortable, demandez la 305 à quarante-cinq euros (60 $, amis expats) en basse saison. On voit aussi par la fenêtre la vieille ville, haute, qui pointe ses tuiles par-dessus les remparts. Nous y sommes montés ce matin, juste pour dire, vous nous connaissez Ji et moi, amis fidèles, plus bulleurs (le verbe est ‘buller’) que visiteurs. Nous avons cherché les restes de la prétendue maison de Colomb, pigeon mais voyageur, puisque certains veulent croire que le Génois serait de Calvi. Aussi la célèbre inscription gravée ‘Calvi semper fidelis’. Dans les temps médiévaux les petites républiques, par exemple Gênes ou Pise, se disputaient les régions méditérranéennes. Calvi demeura génoise (ne manqua donc pas de biscuits) de 1275 à  1800. Alors survint Pascal Paoli, le Bolivar corse, qui bouta dehors les Italiens. Avec l’aide de Nelson, éternel batailleur toujours prêt comme les scouts, omniprésent jusqu’à l’ubiquité, amiral de son état et Horatio de son prénom. L’histoire ne dit pas si les Génois crièrent : « Horace ! Ô désespoir! ». Dans le Diplo d’octobre un intéressant dossier consacré à l’idée de la gratuité. Intéressant en ces années où l’enseignement devient de moins en moins accessible aux moins fortunés. Intéressant en ce début de siècle qui voit les services publics plier davantage chaque jour sous les coups de boutoir de l’argent. Intéressant en ces temps de crise économique qui dualisent chaque jour plus la population entre riches et pauvres, laminant progressivement la classe moyenne. Intéressant face aux idées toutes faites qui ont la peau dure, ce qui est bon est cher, par principe tout doit obligatoirement se payer, ce qui est donné n’est pas respecté… Ah si j’étais président …

Samedi 10. On the boat again (onne ze baut e gaïn), comme Canned Heat ou presque. On s’est éveillé tôt pour étirer la matinée. Pour y glisser un peu de sexe doux, un café instantané,  une tartine à la confiture de figues et noix, une autre à la crème de châtaignes, deux spécialités corses, un second café, une douche et un peu de lecture interrompue parfois le temps d’observer sur l’eau lisse de la baie un défilé de vauriens louvoyant à la queue leu leu, ou les mouettes sur les tuiles du toit occupées à taquiner quelques freux encore beaux (mais pas d’affreux corbeaux). J’ai lu dans le Diplo un article sur les minorités sexuelles et les tourments qu’elles subissent encore de nos jours pourtant dits modernes. Cela m’a fait repenser à une phrase entendue sur France Culture. Ces dernières décennies les gamètes mâles se seraient, paraît-il, fragilisés. Les femmes seront donc de plus en plus nombreuses. Vous savez bien sûr qu’au départ nous sommes tous des toutes. Oubliées ces conneries macho-religieuses d’une Ève bricolée au départ d’une côte d’Adam. Il n’est d’abord que des femmes, chers amis lecteurs sachant lire. Le chromosome x apparaît ensuite pour déterminer l’homme. Et bien il semblerait qu’il apparaisse de moins en moins souvent ! Bientôt, chères amies lectrices sachant lire, vous vous amuserez entre vous… Le ferry était presque à l’heure, arrivant d’Ajaccio chargé d’endormis vautrés un peu partout. Le ciel s’est couvert en chemin, la pluie est venue mais le navire a glissé jusqu’à Nice comme sur un billard. C’est bien. J’aime la mer mais je n’ai pas le pied marin. Nous avons regardé la France continentale venir vers nous en mangeant une assiette de raviolis assis sur une chaloupe de sauvetage du pont 7 dans le vent du large. Facile le bonheur !

Dimanche 11. Hôtel Trocadero. Où nous avons nos habitudes (cf ‘Riviera’ dans ce blog). Derrière les volets le quartier de la gare est détrempé. Les nuages ont œuvré toute la nuit et sont encore sur la brèche. Nos amis français de Météo France ont dû sortir leurs mots pompeux rigolos ‘vigilance, alerte orange’…. À côté des diplos nous avons aussi deux livres  dans nos bagages. « Méditer jour après jour » de Christophe André. Profond et paisible. Pleine conscience et respiration, être en phase avec soi-même. Chaque chapître est illustré d’une toile de maître que l’auteur observe avec attention et intelligence, et connecte finement à ses théories. Un livre évident pour nous. Et puis « Just kids »,  autobiographie de Patti Smith. Ses débuts, sa fusion avec Robert Mapplethorpe, le New York de la fin des sixties, les figures de proue de l’époque. Nous nous demandons souvent, Ji et moi, ce qu’est un artiste, une œuvre. Peut-on définir ces mots ? Le faut-il ? Dans ses publicités, à une certaine époque, Renault se disait ‘créateur d’automobiles’. Godard avait répliqué : ‘Si Renault est créateur, que nous reste-t-il ?’. Peut-on applaudir à tout sans dévaloriser certaines choses ? Où et dans quoi réside la valeur ? Y a-t-il des critères et/ou des références ? Quel rôle joue l’esthétique ? De même, la signification, tout est-il dans tout et dans n’importe quoi ? Et le public ? Existe-t-il une corrélation entre le succès et la valeur ? Le commerce désigne-t-il les artistes ? L’œuvre a-t-elle besoin d’un public ? L’artiste doit-il être vu, reconnu ? Et le goût, est-il ici mauvais et bon ailleurs ? Non, ces questions n’ont rien d’oiseux ! Si tout est bon, on se retrouve cerné par le n’importe quoi, ne croyez-vous pas, amis lectrices et lecteurs sachant lire ?

 

 

 

Après la pluie nous avons rejoint la Promenade des Anglais et la terrasse de ‘La canne à sucre’ où nous avons nos habitudes (genre café croissant à deux euros). Et puis nous avons traversé la chaussée pour nous asseoir sur deux chaises bleues face à la Méditerranée et regarder la couleur de l’eau varier avec l’alternance du ciel. Bleu profond, vert émeraude, laiteux, brun jaune, gris mer du nord. Nous avons fermé les yeux et joué avec la table de mixage de nos cerveaux, monté un curseur, abaissé un autre, pour dissocier les sons. Pour isoler le bruit de la mer de ceux des avions qui décollent de Nice Côte d’Azur, de la circulation et des bavardages derrière nous et des promeneurs qui remuent les galets de la plage. Ensuite nous avons marché de la butte du château au Negresco et du Negresco aux Ponchettes et au Cours Saleya. Nous avons aussi suivi un temps, et au pas, juste pour rire, un défilé croquignolet (fête de l’armistice) qui passait par là. La foule du dimanche a grossi comme le ciel recouvrait peu à peu son bleu, sans vent, les averses allant se déverser à l’horizon, les nuages gris et noirs glissant sur les collines de l’arrière pays.

 

 

 

Avec l’obscurité nous avons regagné le quartier de la gare pour entrer chez Mi-Am où nous avons nos habitudes. Une assiette de Chop-Suey, rien avant, rien après…

Lundi 12. Pareil en plus court, avion l’après-midi, grisaille belge le soir. On n’a pas vu passer les jours. On a pourtant bien regardé !

 

À dans quinze jours !      

 



25/11/2012
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