Chaac ? Oui, mais encore...la suite !

                                           

           


Six. Valladolid (dites bayadoli’). Le carillon de la cathédrale sonne toutes les quinze minutes et à l’heure décompte les heures, c’est original ! Si vous me lisez avec attention (intérêt ? Politesse ? Lassitude ? Quand il pleut ?), vous savez déjà que je me couche tôt, que mes nuits sont ridiculement longues quant à la fatigue à réparer, je suis plus souvent fatigant que fatigué, et qu’il m’arrive donc de veiller une heure ou deux parfois. Le contemplatif que je suis, cérébral aussi, accessoirement narcissique, y trouve son compte…

Á l’hôtel San Clemente j’ai un lit double pour moi seul, Ji aussi, je dors en diagonale, elle fait ce qu’elle veut, vautré sur le ventre parfois, Ji jamais, et j’ai deux oreillers, un moelleux et un dodu. Vous le savez, un rien me comble, et mes sensations sont vives…

Valladolid (bayadoli’) est un endroit tranquille à deux heures de bus de la côte Est du Yucatan. C’est une petite ville coloniale, rues au tracé perpendiculaire, zócalo et parcs arborés, maisons basses à façade colorée, comme les Espagnols en construisirent partout aux Amériques (et même au Maroc, à Ifni). Et bien sûr les églises ne manquent pas. Avec lesquelles nous avons un peu de mal, Ji et moi. Les monothéismes nous gênent aux entournures, nous font un peu tousser. Trop de certitudes mâtinées d’un brin d’arrogance et d’intolérance. En Méso-Amérique les églises ont de fait puisé leur luxe dans le sang des populations précolombiennes. « Je suis un occidental, alors c’est la honte qui passe avant la colère et le désespoir ! » (Philippe Djian).  Les Espagnols ne sont pas seuls en cause. Nombre de pays européens, d’autres d’obédience occidentale aussi, ont constitué leur richesse sur le dos, la peau, des Sud-Américains, des Arabes, des Africains et des Asiatiques. En plus nous n’apprenons rien. La dignité pourrait nous souffler d’admettre le passé et de faire au moins profil bas à défaut d’amende honorable… Mais non ! Afghanistan, Irak, Libye et bientôt Iran, nous allons canarder partout, et sous d’hypocrites prétextes humanitaires fallacieux… Et nous bavassons aussi sur les uns et les autres, ici sur le travail des enfants, ailleurs sur la liberté de la presse (nos si bons journalistes ne manquent pas d’air), autre part sur le défaut de démocratie, le non respect des droits humains ou de ceux de la femme…

 

  

 

Un paquet de choses sont certes à revoir chez les autres, mais commençons d’abord par nettoyer les saletés planquées sous nos tapis avant de prétendre apprendre aux voisins à manier un balai. Ce que nous pourrions améliorer chez nous aura inévitablement de bons effets ailleurs…

Mais tout cela m’éloigne de Valladolid, ville paisible pas trop chargée d’automobiles ni de touristes. Tant mieux ! « Quand ils sont confinés ou contraints les crabes ont des accès de fureur, se pincent les uns les autres et vont même jusqu’à se pincer eux-mêmes ».

Un petit-déjeuner dans le jardin de l’hôtel ou au grand comedor (sorte de préau où des locaux servent à manger à qui vient), une balade jusqu’au marché municipal via le cénote Zaci (cénote modeste mais situé en centre ville dans un espace vert, facile d’accès). Deux tacos de poulet (pollo), avec une cuiller de sauce verte ou rouge, au bord du trottoir, une promenade jusqu’au très esthétique quartier de Sisal, sa quiétude, sa verdure, son monastère… Le saviez-vous, les cénobites (pas un gros mot) sont des moines qui vivent en bande (pas un jeu de mots) tandis que les anachorètes font vœu de solitude… Quelques brasses dans la piscine, un café, une crème glacée, des lignes qui se lisent ou s’écrivent et voici déjà l’heure du marchand de sable annoncée par le carillon.

 

 

 

Au San Clemente j’ai croisé une balance, un de ces pèse-personnes comme on en trouvait avant ici et là. On montait dessus, glissait une pièce dans la fente et manipulait les bidules, les cliquets, les glissières pour équilibrer la balance et déterminer son poids. Et j’ai perdu un kilo et demi depuis le début du voyage, soit en gros, si j’ose dire, cent grammes par jour. Donc, si je devais voyager une année durant je me délesterais de trente-six kilos ?!? En voyage plus encore que chez nous le seuil de rentabilité de nos journées est bas. Ça évite de trébucher ! « Les Mexicains sont des gens heureux et satisfaits, ils ne désirent rien. Cela bien sûr n’est pas une description du bonheur des Mexicains, mais bien du malheur de celui qui le dit. Les Nord-Américains sont une masse de désirs issus d’un manque de sécurité intérieure… ».

 

 

 

 

Plus je suis bien, moins j’ai de besoins, et en voyage je suis vraiment dans mon élément.

Pendant qu’au bord de la piscine j’exhibe mes abdominaux façon tôle ondulée aux yeux éblouis de cinq Italiennes grassouillettes, Ji, consternée, s’absorbe dans la contemplation de deux colibris, un orange et un rouge, la beauté est partout, parfois dans un rien, le moteur de leurs ailes, en vol stationnaire, et même à reculons, qui pénètrent bec et tête des fleurs d’hibiscus.

Quoi d’autre encore pour nous éclater aujourd’hui ? J’ai réparé la chasse d’eau qui fuyait. Deux chemises soldées que nous avons achetées dans une solderie, l’une au rayon garçonnet pour Ji, et l’autre au rayon hommes. La petite vendeuse riait beaucoup sans rien céder au marchandage. Et puis un café de olla (café local très doux, avec une touche de cannelle et de gingembre, que l’on fait bouillir sur le poêle dans une vieille cafetière) chez la petite vieille installée au comedor, elle rit avec les yeux, qui à force de nous voir trois fois par jour a fini par nous inviter à partager son repas, caldo de res (genre de ragoût avec légumes), soupe de fèves, avocat, tortillas et œufs durs.

 

 

Sept. Canela, canela … Nuit moyenne au Mucuy ! Trop chaud, trop de bruits, lit défoncé inconfortable et des moustiques, ‘No me moleste, mosquito !’ (vieille chanson hispanique). Avec cependant un rayon de lune dans cette nuit moyenne que cette sirène entendue dans le lointain indéfini. Sirène d’une de ces monstrueuses locomotives diesel américaines qui tracte ou pousse deux kilomètres de wagons. Chant de sirène pour nous romantique, nostalgique, évocateur d’une partie de camping dans le Joshua Tree Park en Californie parmi les coyotes et les lièvres aux oreilles géantes. Les trains de passagers ont depuis longtemps disparu du Mexique, éradiqués méthodiquement par les bandits des industries automobile et pétrolière. Mais j’avais pris un des derniers encore en service en 1996, lors d’un de mes ‘voyages d’affaire’ (une de mes déroutes !), qui longeaitla Mer de Cortés depuis Mexicali à la frontière californienne jusqu’à Tequila et Guadalajara. Deux mille kilomètres et quarante-huit heures, des fenêtres sans carreaux, des wagons sans électricité, des toilettes qui débordent dans le couloir central et puis ce froid de canard en février dans le désert de Sonora. « Canela, canela… », un petit gros à chapeau passait et repassait la nuit avec sa bouilloire de thé à la cannelle qu’il servait  brûlant à la lueur d’une lampe de poche dans des gobelets de carton… Attendez, j’écrase une larme !

Hier nous étions huit passagers dans le Pullman ADO (Autobuses De Oriente) entre Valladolid et Mérida. Autoroute monotone entre deux murs d’arbres, poursuite impitoyable et muette mais sous-titrée entre Pierce Brosnan et Liam Neeson sur la vidéo et charognards gris et noir groupés ici et là sur le bas côté autour de diverses carcasses sanguinolentes, chiens, raccoons, armadillos, coatis… Et encore un contrôle, un de plus, nous avions déjà été pistonnés aux aéroports de Cancun et de Bruxelles, cette fois opéré par des militaires. Des bidasses qui visèrent nos passeports et nos trombines, trifouillèrent nos sacs (vous voyagez toujours aussi légers ? Vous savez, notre bagage, nous l’avons dans la tête !), utilisèrent les toilettes du Pullman puis signalèrent au chauffeur que le véhicule perdait trop de liquide sur la voie publique et que l’airco devait être arrêté. Les protocoles de Kyoto et Durban ne furent cependant pas évoqués… 

 

 

 

Mérida est une ancienne cité maya rasée par des enragés, les frères Montejo, conquistadores espagnols, qui bâtirent à la place une ville comme chez eux. C’est aujourd’hui la capitale du Yucatan, trépidante, bruyante, polluée et fascinante surtout le soir tombé. Les quartiers coloniaux bien conservés et entretenus côtoient des coins plus bruts et couleur mexicaine. Vous marchez dans des rues étroites un peu sales, bousculés par le trafic automobile (voitures, motos, bus, tuk-tuks), emportés par la marée humaine, harcelés par les sonos des boutiques (à chacun la sienne, ça gueule au long des trottoirs), et puis vous poussez une porte au hasard et derrière une façade anodine, vous changez de monde et d’époque ! Vous êtes à la réception d’un vieil hôtel colonial, majestueux, un petit hectare de superficie, tout un quartier, des colonnes et des arcades, cent chambres sur trois niveaux qui encadrent deux vastes patios. Le premier est couvert tel un préau, meublé de tables et de chaises, on y mange, de rocking-chairs en bois au dossier canné, on y lit, on y cause, s’y balance, et de plantes succulentes ou à palmes, les murs sont ornés de toiles de Frida Khalo, à l’occasion tout est débarrassé et, comme sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse, les beaux messieurs font comme ça… L’autre est à l’air libre et offre une piscine de quinze mètres avec un jardin tropical et une terrasse où siffler un café, un jus de fruit ou une tequila.

 

  

 

 

 

Á notre arrivée à Mérida nous nous sommes posés à l’hôtel Mucuy (petite colombe brune courte sur pattes), envoyé tacos et licuados, papaye et corrosol, puis avons déposé quelques fripes à la  lavanderia avant d’aller traîner au hasard du cœur historique de cette belle ville.

 

Huit. Les flamants de Celestún. Quand je suis sur la côte belge j’essaye toujours deux ou trois mots de néerlandais avec les commerçants du coin. Courtoisie, bonne volonté et gentillesse élémentaires. Si je devais me fixer en Flandres, autour de Bruxelles ou ailleurs, je me ferais bilingue dans les délais les plus courts. Même hors des facilités je cherche la facilité…

Belle ville ou pas j’avais envie de voir la mer, et nous avons donc quitté Mérida après le petit-déjeuner. Pendant lequel Ji m’a une fois de plus épaté et beaucoup fait rire. Une demi-douzaine de touristes français, short et chaussures de ville avec chaussettes, même Jean-Paul Gautier n’en aurait pas voulu, semblaient s’appliquer avec méthode à massacrer le buffet. Quand le dernier de la bande a renversé le couvercle du bain-marie et enfoncé la cuiller de service dans les œufs brouillés, j’ai vu le visage de la femme de ma vie se contracter. « Septante ans, des yeux pour voir, et infoutu de manier une cuiller ! Soyez donc à ce que vous faites au lieu de regarder en l’air ! », a-t-elle lancé à haute et intelligible voix. Le gars a frôlé l’apoplexie mais n’a pas osé répliquer. Parfois mon amour y va sec…

Avant de prendre le bus j’ai tenu à traîner Ji, une fois n’est pas coutume, vers un édifice religieux, l’église Nuestra Señora del Transito, notre dame du transit, je ne pouvais pas manquer cela…

 

  

 

C’est par une longue ligne droite que l’on finit par arriver à Celestun, sur les bords du Golfe du Mexique à l’Ouest de la Péninsule. La plage est brute, charmante, mais Celestun a d’autres atouts. Elle propose aux curieux, aux touristes, aux touristes curieux et parfois à de curieux touristes un estuaire et une lagune, des salines et une forêt pétrifiée et, surtout, un biotope. Un biotope unique, bien sûr, sinon à quoi bon avoir un biotope… Dans le coin on croise donc des mammifères peu fréquentables genre ocelot et jaguar, des crocodiles et, qui dit lagune dit forcément volatiles, des échassiers divers (et sans doute d’été) dont le vol est aussi gracieux que la démarche est hilarante, parmi lesquels une belle troupe de flamants roses. Ces phénicoptères, ça vient du grec, ont une chose en commun avec les vaches, le croirait-on, et les koalas (phascolarctos) : ils passent le plus clair de leur temps à manger ! Pendant que les koalas s’enfilent à tour de bras des feuilles d’eucalyptus au rendement énergétique très moyen et que les vaches mangent et remangent la même herbe, les flamants roses filtrent sans cesse le plancton de l’eau avec leur bec rigolo. Comme les baleines ! Les cétacés ont cependant une grande gueule. Tout comme moi…

 

 

 

 

 

L’hôtel Gutierrez, cube blanc souligné de rouge, trois niveaux plus le toit-terrasse, est situé sur la plage quasiment les pieds dans l’eau. La fenêtre et le balcon de la chambre 2, la nôtre pour trois nuits, ouvrent sur le Golfe, les pélicans, les couchers de soleil et les bateaux de pêche. Cliché, d’accord, mais toujours efficace. Jour de poisson, empanadas de cazon (crèpe de maïs frite et farcie de chair de requin) à midi et le soir thon en boîte (al natural) et crackers, flûte, ils sont à la vanille !, no se preocupe (on s’en fiche !) ! « Être paresseux est devenu un péché. On pourrait soutenir, si l’on avait le goût de la paresse, que le délassement est gros d’activité et que du sens du repos peut émaner un effort dirigé. Alors que l’affairement n’est qu’un tic nerveux. Ce n’est que dans la paresse que l’on peut atteindre à un état de contemplation qui est un équilibrage des valeurs, une évaluation de soi en fonction du monde et du monde en fonction de soi-même. Un homme affairé ne trouve pas le temps de se livrer à ce genre d’équilibrage… ».

 

 

 

 Neuf. Miami, le retour ! Ce vendredi 27 janvier à 7h30, nous sommes au Cocobar, Ji et moi, une boîte de nuit attenante au Days Inn International, non loin de l’aéroport et du Motel Airways. Nous y avons fait la bringue depuis hier soir… Non, ce n’est plus nous ! L’a-ce jamais été ? Tôt matin au Cocobar des tables sont dressées entre la sono et la piste de danse, sous le stromboscope et la boule réfléchissante aux petits miroirs carrés. Le didjay passe des platines, où il scratche, aux fourneaux, où il fristouille. Une des go-go dancers laisse sa barre et ses dessous suggestifs pour enfiler l’uniforme de serveuse. Le didjay cuistot et la serveuse stripper s’acoquinent et s’activent pour proposer aux clients de l’hôtel un typique petit-déjeuner américain arrosé de café translucide que l’on vous ressert et refourgue jusqu’à la nausée.

Les aventures, les expériences et les aléas du voyage sont nombreux et diversifiés. Un petit-déjeuner dans une boîte de nuit de quinzième zone, une conversation amusante avec une vieille Ukrainienne dans un avion, un échange de regards éloquents avec un cireur de chaussures à Mérida, deux phrases avec une Maya vendeuse de tamales, une poursuite effrénée avec une blatte… Comparer un B767 avec un A330, supporter du bruit jour et nuit sans répit, lire un livre assis sur les marches d’une pyramide millénaire avec vue sur les Caraïbes, goûter les défilés édifiants des aéroports, juifs à bouclettes, une musulmane reclue dans un coin face au mur pour allaiter son bébé, une bande de retraités excités arborant des t-shirts bariolés trop étroits… Le voyage vous élargit l’horizon du cerveau, vous rend moins évidentes ces évidences qu’on vous assène dès l’enfance, vous apprend à sélectionner les sujets de râleries quand vous rentrez chez vous, vous ouvre le chemin vers la boîte aux questions. Le voyage enrichit la panoplie des possibles, réduit l’indispensable et le nécessaire qui vous encombrent l’existence. Le voyage propose la différence, qui ne fait peur qu’aux imbéciles. Ailleurs je suis la différence...

En 1994  de hauts dignitaires caraibes offrirent à Colomb, ce pigeon voyageur, les Mayas auraient pu être colombophiles, une poignée de fèves de cacao. Le navigateur italo-portugais à la solde d’Isabelle de Castille les jeta à la mer, les confondant avec des crottes de biques.

Avant Colomb les peuples méso-américains se nourrissaient bien. Maïs, courges et haricots, avocats et nopals grillés. Xictomatl et xocolatl (en maya tomate et chocolat, découverts là-bas) et puis diverses protéines animales, reptiles, insectes et oiseaux. Plus tard les influences se multiplièrent qui firent une cuisine riche et variée. Mais au fil de mes voyages chez eux j’ai vu les Mexicaines et les Mexicains s’épaissir, contaminés par le mode de vie nord-américain.

Devant les reliefs du petit-déjeuner et avec à la main notre troisième mug de mauvais café, que nous sirotons avec un vif plaisir, force est de constater que notre voyage prend fin. De Celestun nous avons rebroussé vers Mérida dans un omnibus chargé de vieux Mayas, hommes à chapeau et femmes en robe blanche brodée. Nous avons ensuite volé vers Cancun dans un Dornier 228, bimoteur comique, long nez, vingt places, petites roues (on est assis par terre quand l’avion est au sol). Á propos de Cancun, rien à dire. Vieille ville sans éclat et zone hôtelière sur une étroite bande de terre longue de vingt kilomètres. Une manière de Djerba élevée aux standards étasuniens. Le terme ‘élevée’ n’étant peut-être pas appropriée, junkfood, airco et des glaçons plein les verres…

 

 

 

 

« Airport ? ». Le conducteur de la navette a ouvert la porte du Cocobar, lumière aveuglante dans l’obscurité du dancing, nous allons humer une dernière fois l’air tropical, emmagasiner un peu d’ambiance américaine avant de voler vers les 50° de latitude Nord et les 4° de longitude Est. Belgium ! Here we come ! 

 

Rendez-vous dans quinze jours ?       

  

 



08/04/2012
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