Cévé ? Ome, la course de ma vie !

Vous êtes bien assis ? Tant mieux !

J’ai travaillé, vous savez, dans ma vie déjà longue… Ça m’est arrivé !

Après l’école, École d’Interprètes Internationaux (de l’Université de Mons !) elle s’appelait, classe !, ‘ça pisse pas loin mais qu’est-ce que ça sonne !’ chantait Voulzy, j’ai d’abord pris deux mois sabbatiques. Pour m’en remettre, souffler un peu. Je n’étais pas pressé, j’avoue que je ne voyais pas dans le travail une source potentielle d’épanouissement personnel ni de richesse matérielle. Aujourd’hui pas plus, d’ailleurs. Faut-il vous rappeler que ce mot, travail, découle du vocable latin tripalium qui signifie instrument de torture ? D’accord, c’est facile…

Au bout de ces deux mois j’ai donc scruté les petites annonces. Deux jours plus tard j’étais engagé. Et ce fut le début d’une longue traque, le travail se mit à me poursuivre, moi qui ne m’intéressais qu’assez peu à lui. Dès que je montrais la tête, paf, l’embauche frappait !

J’ai commencé ma brillante carrière, diversifiée aussi, sur les hauteurs spadoises dans un hôtel au milieu des bois et au bord de la faillite. Je ‘présentais bien’ encravaté, costume neuf et cheveux un poil plus longs qu’aujourd’hui, j’étais déjà beau, ça n’a pas changé, et puis surtout je pratiquais vaguement plusieurs langues étrangères, condition élémentaire pour occuper dans un pseudo palace (!) le poste de réceptionniste de nuit.

Mais ça n’a pas duré. Les nuits sont vite devenues aussi longues que les clients étaient rares. Je zonais seul dans mon comptoir (front desk) ou dans celui du bar où, abonné à la ‘Cimbali’ (grande marque de machine à café), je me faisais des cafés et je servais des whiskies au sous-directeur insomniaque et alcoolo qui se plaignait d’avoir froid aux pieds seul dans son lit. Je manquais d’expérience à l’époque, en tout, et pas plus que je ne savais comment interpréter les assertions de mon supérieur (avances sexuelles ou simples divagations), je n’étais alors pas capable de bien ‘rien faire’ et d’en tirer parti… Bref je m’ennuyais ! De plus le salaire n’était guère motivant et les frais d’automobile pas remboursés au prétexte que les chambres libres, contrairement aux clients, ne manquaient pas à l’hôtel et que je pouvais sans problème dormir sur place ! J’ai donc assez vite congédié mon premier employeur.

Sans prendre le temps de récupérer, vous connaissez le truc, quand on tombe de cheval etc., je suis entré dans une banque italienne. Pas pour ouvrir un compte mais pour occuper un emploi de guichetier. Je parlais un italien scolaire mais suffisant et surtout nous nous étions trouvé, le directeur de l’agence et moi, des intérêts communs genre la photographie notamment… Je dominai facilement de la tête et des épaules la soixantaine d’autres candidats au poste, certains pourtant de langue maternelle italienne. J’étais à nouveau derrière un comptoir mais cette fois de jour et entouré de collègues. La clientèle, composée surtout de vieux Italiens venus transférer de l’argent vers la Sicile, était truculente et amusante mais d’humeur inégale, calquée sur le taux de change de la lire. Sans être faramineuse, et de loin, la paie couvrait cependant sans peine nos dépenses à Ji et moi, ouioui c’était déjà elle, je me rendais à pied au boulot, notre petit appartement dépouillé, loyer riquiqui, était à cinq minutes à peine.

Mais j’ai vite réalisé que je n’étais pas fait pour manipuler l’argent, fut-ce celui des autres. Et même si mes collègues étaient d’un commerce agréable et chaleureux, l’ennui s’est repointé assez vite. D’autre part la femme de ma vie qui ne connaissait pas encore les joies du travail ni le stupre du ‘rien faire’ dépérissait quelque peu et tournait en rond chez nous. Comme j’avais senti venir à Spa l’heure du check-out final, je vis arriver celle de solder mes comptes à la banque… Au grand dam du gérant qui perdait un collaborateur (j’adore ce mot) passable doublé d’un interlocuteur distrayant avec qui parler photo, philosophie et littérature (C’est à la banque entre deux transferts d’argent et trois additions de caisse que j’ai griffonné le premier texte qui m’ait plu. Ce texte passé hélas par pertes et profits racontait l’histoire d’un type paumé qui gonflait à force de contenir ses questions au point de finir par exploser au milieu d’une foule indifférente…).

Août tirait à sa fin et nous voulions changer d’air. Après avoir renoncé à notre petit appartement et remisé nos maigres possessions dans la famille, nous emboîtâmes le pas de la plus grande des deux sœurs de Ji qui s’en allait vendanger en Suisse avec une troupe d’amis.

Ce fut très gai ! Nous étions installés, groupe hétéroclite d’une quinzaine d’âmes, les unes sur les autres, dans un gros chalet au milieu de l’alpage, entre Sion et Martigny, et plus exactement à Ovronnaz, altitude 1500, à l’époque un petit village tranquille. Chaque matin nous préparions en commun notre briquet, montagne de sandwiches au gruyère, au Parfait (pâté suisse en tube) et thermos de thé, puis nous entassions dans trois ou quatre automobiles pour gagner les vignes plantées dans la vallée ou à flanc de coteaux et jouer du sécateur de huit heures trente à dix-sept heures. Saine fatigue, bonne humeur et conversations animées après le repas du soir et avant que de se coucher tôt.

Mais au bout de cinq semaines les ceps ne comptaient plus le moindre grain !

Le viticulteur proposa alors une rallonge aux éventuels volontaires, un travail plus rude aux plus courageux et aux plus avides. Où il fallait endiguer, avec force béton préparé à la main et transporté par pelles et brouettes, un torrent parfois fougueux et récalcitrant à la fonte des neiges qui s’en venait raviner chaque printemps une partie des pieds de vigne… Ji se mit au repos et moi des ampoules plein les mains. Comme le raisin le béton n’eut qu’un temps, un mois à peine, et, à l’approche de l’hiver le viticulteur ne put plus rien pour nous !

Rien ne nous rappelait chez nous. Nous décidâmes d’investiguer un peu la région, d’aller vers l’amont du Rhône, d’écumer à bâbord et tribord en quête d’une quelconque occupation rétribuée les vals, les vaux et les vallées des rivières affluentes.

C’est au hasard de menues emplettes effectuées dans une superette de la Coop que l’exploitant de celle-ci (exploiteur aussi) nous engagea à travailler pour lui. Deux salaires suisses agrémentés de la jouissance gratuite d’un studio nous furent proposés.

« Faire une saison d’hiver » en Suisse n’a rien d’une sinécure (du latin sine cura, soit payé à rien foutre comme un curé). Á la Coop de Grimentz aux ordres du gérant un peu barge, un Italo-Suisse ou l’inverse, c’était de sept à dix-neuf heures du dimanche au dimanche… Ji officiait surtout à la caisse, je donnais moi dans la polyvalence, magasinier et réassortisseur, technicien de surface et chauffeur-livreur sans oublier souffre-douleur ! Au bout de deux mois au cours desquels il nous fallut quémander, ruer, ruser, pleurer, menacer pour obtenir un demi-jour de repos, nous rendîmes nos tabliers, claquâmes la porte et pliâmes bagages…

 

Á peine reposions-nous les roues de notre Coccinelle sur le sol natal béni que Ji était contactée par l’hôtel HI où elle avait fait acte de candidature spontanée un an plus tôt. Elle ignorait alors qu’elle allait signer et en prendre pour quinze ans !

Quant à moi j’avisai en centre ville deux mille personnes qui piétinaient à la queue leu leu devant un local désaffecté où semblaient se dérouler des entretiens d’embauche. Mc Donald’s débarquait chez nous, installerait bientôt deux points de vente (l’un d’eux disparut très vite !), et recrutait dans ce but une cinquantaine de collaborateurs (j’adore ce mot !).

Et j’en fus ! En fait l’aléatoire (et à travers) me mit face au seul des quatre recruteurs ou sélectionneurs succeptible d’apprécier mon parcours déjà erratique. Les trois autres (je le réalisai plus tard) m’auraient viré à coup de pompe dans le train.

Dix-huit mois dans les Big Mac jusqu’au cou !

Non content de m’engager, le sélectionneur mentionné plus haut m’avait aussi bombardé chef d’équipe. Je devais m’occuper des horaires et des inventaires, du calibrage des friteuses et du réglage de la machine à sundae, de la gestion des stocks, de la cadence de production des hamburgers… Je visais aussi à la bonne ambiance de travail, le bonheur comptait déjà pour moi.

Les questions d’éthique me laissent souvent dubitatif. Aujourd’hui, bien longtemps après et même plus, nous aimons encore, Ji et moi, manger un hamburger trois ou quatre fois l’an. La mauvaise nourriture (jouissive ?) comme la télévision et l’information médiocres continueront de se vendre tant qu’elles rencontreront des acheteurs. N’est-ce pas l’individu humain qui manque d’éthique ?

Dix-huit mois dans les Big Mac jusqu’au cou, écrivais-je ! C’est le temps que je mis à faire le tour de ce boulot. Dix-huit mois et je passai mon chemin…

 

Á dans quinze jours !



01/08/2012
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