De Mumbaï et de Kochi ? OME... de d'autres choses aussi !

10 janvier. Hôtel Ibis, Bruxelles midi. Ibis comme l’échassier des régions chaudes. Comme l’Ibis Sacré d’Égypte. Avec son corps humain à tête d’ibis Thot était le dieu égyptien du savoir et de l’écriture. Donc celui du blog ‘ouimaisencore’ ? À l’Ibis de Bruxelles midi nous nous sommes, Ji et moi, roulés dans le moelleux. Nous avons chiffonné nos corps dans les draps frais couleur écru. Le rouge nous est venu au front et aux pommettes. L’électricité nous a taquiné les reins. Je pourrais vivre à l’hôtel, dans le provisoire définitif, élaguer mes possessions déjà maigres, à coups de machette. Faire un grand feu et danser autour comme les Indiens. Ceux des bisons, j’entends, pas ceux des vaches. 11 janvier. Airbus 330 Swiss Airlines. De Zürich à Mumbaï. Par-dessus Budapest, Yalta, Bakou, Téhéran et Karachi. À Bruxelles et à celle qui nous resservait le ‘Rien en soute ? Juste ce petit sac à dos en cabine ?’ j’ai ressorti mon aussi drôle qu’excellent ‘Vous savez, le bagage nous l’avons dans la tête et le cœur !’. À 15h sur l’horloge de chez nous le soleil se couche déjà sur tribord, à l’ouest. Nous survolons Téhéran et je me dis que j’irais volontiers voir Mahmoud Ahmadinejad, constater s’il est bien le diable que l’on nous présente. Hugo Chavez et Fidel Castro sont morts ou presque, qu’en est-il de Kim le troisième ? Et le temps d’Evo Morales en Bolivie est sans doute compté… On nous tartine volontiers avec les gesticulations de ces trublions, anecdotiques ?, qui jettent du sable dans les engrenages de la machine de la pensée unique et du libéralisme forcené. Mais on nous raconte moins les rois nègres, façon de parler car c’est pas qu’en Afrique, qui vendent leur pays et leur peuple sur l’autel de l’argent. Quand vous faites le plein à la station-service, c’est un peu de sang nigérian que vous versez dans votre réservoir. Vous ai-je raconté déjà celle des ‘panoupanous’ ? Aux temps bénits des colonies quelque part au Congo deux Européens satisfaits, sans doute s’agenouillent-ils à l’église le dimanche, s’amusent de leurs histoires de chasse. « Tirer le lion, cher Ami, quelle aventure, quelle émotion ! Le roi des animaux, vous pensez ! Et puis l’éléphant, cette masse de vie majestueuse… Tuer un éléphant c’est s’autoriser le péché ! Moi, réplique le second, c’est traquer les panoupanous qui m’excite. Les panoupanous ? Oui voyons, vous savez, très cher, ces petits hommes noirs et nus qui, quand on les épaule, crient : ‘Pas nous, pas nous !’ ». 12 janvier. Iskcon Ashram, hare Krishna land, Juhu Mumbaï. Voici vingt-cinq ans nous nous commettions, Ji et moi, dans le studio bricolé, cartons à œufs pour tapisser et insonoriser les murs, d’une de ces radios dites libres qui saturaient alors les ondes de la modulation de fréquence. L’émission s’appelait ‘Mais encore…’, et nous y avions notamment invité la hiérarchie de l’antenne belge de la ‘Communauté pour la Conscience de Krishna’. Crânes rasés, robes safran ou rose ou blanche, sandales, mantras entêtants, mini-cymbales et tablas, dénuement, autarcie et paisibilité. Nous sommes aujourd’hui et pour trois nuits installés dans le domaine de cette même communauté à Juhu, le quartier de Mumbaï. Cette communauté s’appuie sur les écrits de la Bhagavad-Gitâ, un livre sacré, millénaire, une bible de sept cents préceptes qui font une manière de guide vers la réalisation personnelle. Certains qualifient les Krishnas de secte et d’entreprise commerciale. Voici en tout cas, ce qu’en écrivait Ghandi : “ When doubts haunt me, when disappointments stare me in the face, and I see not one ray of hope on the horizon, I turn to Bhagavad-Gitâ and find a verse to comfort me. And I immediately begin to smile in the midst of overwhelming sorrow (…)”. 13 janvier. Iskcon Ashram. Nous logeons dans un temple, l’alcool et le tabac en sont bannis, aussi la caféine (le sexe je ne sais pas!). Pour téter un (assez mauvais) café il nous faut franchir l’enceinte et nous accouder à l’une des échoppes de bois et de broc des alentours. Le quartier de Juhu est un entrelacs de ruelles animées. Une joyeuse pagaille grouillante et klaxonnante. Les visages pâles y sont plutôt rares malgré la présence de quelques hôtels haut de gamme parmi les diverses constructions locales, colorées, poussiéreuses, confortables ou au bord de l’écroulement, construites soigneusement ou avec les moyens du bord. La mendicité est présente mais clairsemée. Elle est aussi tenace, persuasive, étayée, circonstanciée. On vous prend le bras, vous raconte sa vie et vous propose mille choses. Des photos avec des vaches, des bibelots, des petits garçons ou des petites filles. L’océan est tout à côté. La plage est jonchée. D’Indiennes et d’Indiens qui
jouent au cricket, se promènent de long en large (comme à Knokke), se baignent tout habillés dans une eau douteuse. Aussi de déjections, de chiens ou d’égouts, de détritus de toutes sortes. Juhu conjugue le bruit, la crasse, la pauvreté, la douceur, le sourire et la gentillesse. L’accueil dans les gargotes est aussi charmant que l’hygiène y apparaît redoutable. 14 janvier. Iskcon. Chacun ses convenances et ses manières de faire et d’être. Les Indiens crachent par terre. Sans doute moins que les Chinois. Et vous rotent dans les oreilles et le nez. Les femmes autant que les hommes. Tous se déchaussent pour pénétrer les lieux sacrés. Avec leurs pieds crottés… Ils s’inclinent voire s’aplatissent devant les autels et les représentations des dieux. Sans lâcher un instant leur téléphone. Les voix de Krishna sont moins impénétrables, sans doute, avec un portable ! Les Indiennes, qui ne sont pas immédiatement des plus sympathiques (euphémisme), qui aussi se battent entre elles dans les compartiments de train qui leur sont réservés, couvrent leur cou et leur gorge avec des étoffes, cachent leur bras et leurs jambes sous leur sari (ça ne rit pas tous les jours).  Mais s’accommodent très bien de leur ventre qui cascadent en gros replis graisseux jusqu’à leur taille. La conscience de Krishna nous interpelle. Oui. Mais les mouvements de foule et les engouements trop démonstratifs ? La transe et l’hystérie ont-elles à voir avec la conscience ? 15 janvier. Chez Lazar, Fort Kochi, Kérala. Trente minutes de tuktuk Piaggio, cent d’Airbus et nonante (90) de bus Tata (propriétaire de Jaguar/Land Rover) nous ont amenés hier à Kochi, sur la côte de Malabar, au sud-ouest du pays. C’est un endroit magnifique, paisible, langoureux et historique. Les Arabes, les Chinois et les Européens s’y sont battus et succédés dans la course aux épices. Kochi est constituée d’une grappe d’îlots reliés entre eux par des ponts routiers et des ferries. Elle englobe aussi la petite ville d’Ernakulam (‘rnakul’m), nœud routier et ferroviaire situé en face sur le continent. Fort Kochi est l’île principale. Ses ruelles colorées bordées de maisons basses et de verdure, palmiers, bananiers, tamariniers, ses carrelets chinois esthétisants (toujours fonctionnels), sa promenade de mer et ses jolies bâtisses coloniales (état de conservation assez variable) en feraient un havre de paix, paradisiaque, idyllique disons-le, si les touristes n’étaient présents en surnombre flanqués des locaux pour le moins avides. Après une assez mauvaise nuit dans une chambre mal choisie, nous avons atterri chez Lazar qui non seulement se lève et marche mais surtout loue trois chambres douillettes dans sa coquette demeure perdue dans un coin calme de Kochi. 16 janvier. Comme moi, notre voyage est spirituel… Après trois nuits sous l’aile de Krishna nous voici donc dans Kochi l’œcuménique. Les ouailles sont ici surtout catholiques. Mais un quartier juif existe à l’est. Et quelques mosquées semblent avoir été semées à la volée ici et là. Le muezzin du coin tient bien la note. Et, moins austère que ses comparses Nord-Africains, raconte une petite histoire d’une voix douce, et même un brin efféminée. Pourquoi pas ? Pourquoi un muezzin voire un imam ne seraient-ils pas efféminés. Ou même homosexuels. (Toutes) Les voies de Dieu ne sont peut-être pas si impénétrables, après tout ! Dans les milieux unisexes confinés, on le sait, les besoins et les envies existent qui développent la seule sexualité possible. Milieux religieux, sportifs, carcéraux, militaires (journalistiques ?)… Comme au golf, on joue tous les trous ! J’écoutais voici peu à la radio une auteure, dont le nom m’échappe, l’âge chers amis, tout fout le camp !, qui avançait que les hommes avaient inventé la religion par peur de la sexualité féminine. Et je la suis volontiers. Moi qui ne veut pas tout maîtriser, tout dominer, soyez sûres, lectrices sachant lire, que je ne crains pas votre sexualité. L’orgasme, le sien et le mien, est certes gratifiant, il en faut, mais n’est pas à mes yeux une obsession, une performance ni une issue obligatoires. Le sexe est une activité que nous pratiquons, Ji et moi, comme nous regardons un film, roulons sur nos Brompton ou voyageons en Inde. Le sexe est un partage. C’est comme une balade qui peut être douce même si elle ne mène nulle part. Le voyage importe plus que la destination. Bon, d’accord, parfois l’aboutissement, l’exultation, c’est bon aussi ! Et… Où en étais-je déjà ? Ah oui, la sexualité masculine est prévisible, évidente et toute extérieure. Le désir et le plaisir masculins sont faciles à constater et à provoquer. Sauf défaut physiologique cela marche à tous les coups, même les mauvais. Mais chez la femme rien de tel. Tout est intérieur et intériorisé. Tout est mystérieux et magique. La part du psychisme fait que rien n’est jamais joué ni gagné, ni même perdu. Tout cela déroute le mâle, bête, primaire, rustre, pataud. Cela ne m’ennuie pas d’être dérouté. Je le suis par l’existence depuis plus de quarante ans. Je cherche ma voie, celle de ma partenaire, ou une troisième sur laquelle cheminer ensemble…

Dans un même ordre d’idées, cela me ramène à une récente conversation avec M. (mon ami du Château-Lefy, de vieille noblesse aujourd’hui décadente). Conversation instructive, elle l’est toujours avec M., au sujet d’une conférence de Nancy Houston. La Canadienne (quand on l’a sur le dos, on n’a pas froid) avait parlé de la confusion des genres et des rôles, et du choc entre les comportements inhérents à nos origines animales et l’évolution sociétale du vingtième siècle. Soyez sûrs, amis lecteurs sachant lire, que si nous avions eu des enfants, Ji et moi, je ne me serais pas fait prier pour gérer la marmaille et tapoter le coussin pour le repos de la guerrière. 17 janvier. Toujours chez Lazar qui parfois la nuit se lève et marche. Des perles aux cochons… Kochi serait paradisiaque, mais qui des touristes ou des locaux sont les pires ? Tous dans le même sac, et moi au bord qui me pince le nez. Puis-je être à la fois dans le tableau et aussi devant à le contempler ? Dernier jour à Fort Kochi. Le tuktuk quotidien de 7h30 est venu corner en face et charger les six petits pour les emmener à l’école. Avec encore un œil dans le coussin Ji s’est encourue au théâtre Kathakali d’à côté où une séance matinale de méditation est organisée chaque jour. Sur fond de sitar et tabla.

« J’ai participé ce matin à une séance de méditation au son d’un sitar
et d’un tabla. Deux musiciens ont joué une musique classique indienne pendant
une heure. Morning ragas. On ferme les yeux, laisse le corps se détendre,
l’esprit se vider. Et la musique est là ! On l’accueille ainsi que toutes
les émotions qui l’accompagnent. Nattes sur le sol avec quelques galettes très
fines. La position est très difficile à tenir pour moi qui ai déjà adopté les
coussins ronds hauts de dix centimètres. Ventilateur, bougies et pénombre. Les
musiciens sont beaux, les sonorités douces, lancinantes, mélodieuses, parfois
agressives et envahissantes. Je suis heureuse d’être là !

Vers 9h30 nous avons petit-déjeuné indo-britannique. Idli et Chutney, toasts et marmelade, thé massala (au lait et parfumé de gingembre, cardamone…) que nous avons savouré longuement, à petites bouchées et petites gorgées. Des enfants, uniforme marine et blanc et cravate, jouaient au cricket sous les tamariniers. Beau ! Ensuite nous avons rallié Vypeen. Vaïpiiin est une île en face que rejoint un vieux bac souffreteux, puant, laborieux, qui louvoie et dérive quinze minutes entre des bateaux-mouches en pagaille, des pirogues, des chalutiers coursés par des oiseaux chapardeurs, des catamarans, des lanchas et de gigantesques cargos imperturbables. Nous sommes allés à Vypeen pour rien, ou plutôt juste pour le plaisir. De changer d’horizon, de respirer les vapeurs de diesel du car-ferry, de voir le match autrement, de prendre du recul… Vous connaissez la chanson, amis qui me lisez, et l’histoire de notre vie ! Après nous sommes rentrés chez Lazar. Non sans avoir ramené des samosas et des cœurs de palmiers pour nous sustenter un peu. Aussi une bouteille de deux litres d’eau, l’important étant plus de pisser que de boire, l’un allant quand même rarement sans l’autre. Nous avons bu et mangé, lu et torpé, pris une douche avant de ressortir autour de 18h et de chez Lazar pour une dernière promenade exploratoire terminée au Teapot, un salon de thé au décor exquisément épuré où se dégustent cheesecake et thé massala bons à tomber raides… 18 janvier. Hôtel Grand. Ernakulam. Confortable. La robinetterie de la salle de bain est fascinante ! Pourraitêtre limite inquiétante pour certains esprits fragiles. Les robinets sont comme gargantuesques, héroïc-fantasiens, paraissent pouvoir soudain se détendre, s’étendre, s’élancer dans l’air, se mettre à gigoter en tous sens, finir par cracher du feu tel un dragon ou venir vous occire pendant que vous faites tranquillement caca. 19 janvier. Hôtel Grand, 0145. J’émerge d’un rêve amusant. Tel un jabiru qui nourrit ses petits je vous le régurgite. Donc je fendais une foule mouchetée de visages connus dans une sorte de salle des fêtes ou de congrès. Clooney slalomait adroitement parmi les invités et distribuait du café (what else ?) avec classe. À la façon dont on m’abordait je finissais par comprendre que j’étais nouvellement président. Un plaisantin, peut-être l’un de vous, amis lectrices et lecteurs sachant lire, avait dû m’inscrire en douce sur les listes. J’avais été élu à la surprise générale et la mienne en particulier. Sobre et classieuse, Ji marchait à mon bras, désormais première dame, mon éminence grise aussi, dans son élégance naturelle. Et j’étais plus fier que jamais d’aller à son côté. J’apercevais Cohn-Bendit accoudé au bar, sirotant une substance verte, qui m’adressait un sourire bienveillant. Celui-là serait mon premier ministre. La birmane Handsome Sushi devisait là-bas avec deux pussy riots récemment grâciées sur intervention de Depardieu. Albert Dupontel était là aussi, plus halluciné que jamais, futur pilier de la culture. Nicolas Hulot, le fils de Jacques Tati, essayait un ballon télécommandé spécialement conçu pour survoler les meetings politiques. Il ferait un excellent délégué aux voyages de rêve ponctués de commentaires éthiques. Philippe Meyer riait avec Jean Rolin et Jean-Christophe Victor… Et puis le soudain redémarrage du conditionneur d’air mettait fin au rêve et à la distribution des maroquins ! Même jour, même endroit, plus tard. De la nervosité flottait dans mon air, et dans ma tête depuis quelques temps comme une sensation de passer à côté des choses, de m’ennuyer un peu, de perdre mon temps. Sensation peu commune chez moi, jamais éprouvée dans mes voyages en tout cas. Autour d’un micmac à la gare ferroviaire et devant un mur indien de mauvaise foi et de mauvaise volonté, les choses ont cristallisé et dérapé, je suis devenu irrascible. Et j’ai fait pleurer la femme de ma vie. Cela n’arrive pas souvent, rend la chose aiguë, insupportable. Oui, je sais être moche. Mais Ji s’est vite reprise. Elle est venue me travailler en finesse, avec indulgence et diplomatie, et me remettre sur des rails positifs. Quelle femme magnifique !

 

A suivre !       

 

 



09/02/2013
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